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par Groupe La révolte le 18 novembre 2019

POUR LA DEFENSE D’EXARCHEIA : entretien avec Yannis Youlountas

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Article extrait du Monde libertaire n°1810 d’octobre 2019
Depuis maintenant plusieurs semaines, l’État grec lance une gigantesque offensive visant à mettre au pas le célèbre quartier rebelle d’Athènes, Exarcheia. Haut lieu de l’anarchisme en Europe et dans le monde, ces espaces et les militant.e.s qui les occupent sont une cible privilégiée par l’État et la police. Les neutraliser apparaît être une priorité, en particulier pour le nouveau Premier ministre grec.
Deux membres de la Fédération anarchiste et de la CNT sont allés interviewer Yannis Youlountas, l’un des porte-voix d’Exarcheia en Europe et particulièrement en France. Voici, ci-dessous, la transcription de ces échanges.
La Fédération anarchiste soutient très vivement les compagnon.ne.s, qu’il.les soient de Grèce ou d’ailleurs, dans leurs combats pour l’émancipation et une société libre. Vive Exarcheia la Noire ! Vive l’Anarchie !


Pourquoi Mitsotakis a-t-il attaqué Exarcheia dès son arrivée au pouvoir en Grèce ?
L’arrivée au pouvoir de Mitsotakis a changé beaucoup de chose en Grèce et en particulier à Exarcheia car la promesse principale de ce candidat de droite était d’évacuer ce quartier de ses squats en un mois. Le premier acte de l’exercice de son pouvoir a donc été de frapper Exarcheia aussi vite qu’il le pouvait. Il a été élu le 8 juillet et selon sa promesse, il aurait dû en avoir fini le 8 août. Or nous sommes début septembre et il n’a pas réussi. Il a juste frappé un dixième des squats. Il provoque une occupation policière, qui était d’ailleurs plus importante il y a quelques jours, et qui est en train de reculer. Mitsotakis a commis quelques erreurs dont celle de la communication car cette bataille se joue aussi sur ce plan.

Comment s’organise l’autodéfense populaire face à la brutalité policière à laquelle nous avons assisté lors des affrontements du 26 août ?
Dès que nous avons compris que Mitsotakis arrivait au pouvoir, nous avons très rapidement décidé de nous organiser en réseau pour lutter contre cette menace. Ce réseau, que nous avons appelé No Pasaran, rassemble une grande partie des 23 squats d’Exarcheia. 11 squats politiques dont le K-Vox où nous sommes, et 12 squats de réfugiés migrants inclusifs, dont le plus connu est le Notaria 26. Ce réseau est constitué des squats les plus rigoureux qui prennent le temps de réfléchir et de penser aux conséquences de leurs actes car nous sommes aussi sur une bataille de la communication. D’ailleurs partout en Grèce et dans le monde, l’opinion publique nous est favorable du fait des violences de l’État exécutées par sa police.

Malgré tout, 4 squats ont été évacués et murés. Peux-tu revenir plus concrètement sur cette brutale opération quasi militaire ?
Cette opération policière s’apparente en effet plus à une opération militaire avec des policiers équipés pour partir à la guerre et le renfort de la police anti-terroriste et de voltigeurs.




L’attitude violente en paroles et en actes de cette milice du pouvoir cagoulée a inspiré la terreur aux réfugiés migrants idem etc. des squats Spirou Trikoupi 17 et Transito 15. Le Gare, squat politique a également été fermé ainsi qu’un quatrième qui n’était plus occupé. 3 personnes ont été arrêtées au Gare. Il y avait 143 personnes dans les squats des réfugiés migrants dont 10 sans-papiers et 35 enfants mineurs. Je peux d’ailleurs vous dire qu’une grande partie des occupant.e.s ont réussi à s’échapper et ont ainsi pu éviter les camps de rétention. Ils sont en lieu sûr où l’on prend soin d’eux.

Avez-vous eu à déplorer des blessés ?
Oui, dont certains enfants. Au Spirou par exemple, une petite fille a été bousculée par un policier et a perdu une dent. Mais il faut noter aussi l’attitude intolérable de ces policiers avec leurs intimidations et insultes. Ils n’ont pas laissé la demi-heure promise aux occupants pour préparer leurs affaires et ont cassé tout leur matériel. Voici l’absurdité de ce monde qui accueille des gens vulnérables qui ont souffert et dont on détruit même le peu qu’on a réussi à construire avec eux pour qu’ils puissent vivre libres dans la démocratie directe et la convivialité. Le pouvoir n’a pourtant rien d’autre à leur proposer que des camps de détention aux conditions de vie atroces. On a même pu déplorer des morts à cause de la distribution d’aliments avariés par des ONG qui collaborent avec l’État. Nous ne rejetons pas toutes les ONG puisque nous avons reçu ici au K-Vox et au Notara 26 : Pia Klemp [note] . On ne met pas tout le monde dans le même sac. Mais il y a des ONG qui collaborent alors qu’ici on propose un autre modèle en démocratie directe et c’est ça que l’État veut détruire car pour eux il n’y a pas d’autre modèle que le capitalisme et la démocratie libérale. C’est « la fin de l’histoire » selon eux, mais en réalité ils n’ont pas tout à fait tort, c’est la fin de l’histoire si on les laisse faire, car leur modèle est une impasse sociale, écologique, et politique avec un monde qui devient de plus en plus fasciste.

À ce propos, avez-vous remarqué des connivences entre la police et les fascistes d’Aube dorée ?
D’un certain point de vue, il y a des connivences à partir du moment où des policiers viennent dans un quartier pour empêcher des gens de vivre comme ils le désirent. Le fascisme, ce n’est pas que l’extrême droite, la société dans laquelle nous vivons est une société autoritaire. Le fascisme est donc présent de plein de façons dans la société. Mais malgré tout, certains des policiers qui sont intervenus au Spirou portaient des écussons de groupuscules fascistes, dont certains de l’Aube dorée. D’ailleurs des civils tournaient autour des policiers et n’étaient pas des fonctionnaires mais des membres de milices fascistes portant des T-shirt Defend Europ [note] ou des ultras de la Roma clairement néo-nazis. On a l’impression que l’État a choisi intentionnellement ses fonctionnaires de police parmi les fascistes afin qu’ils ne soient pas eux-mêmes écœurés par leur travail ignoble. Il est donc possible qu’ils aient été choisis pour leur radicalité contre nous [Pourquoi pas mais franchement hypothétique, non ?]. D’ailleurs, certains nous ont dit qu’ils étaient heureux de prendre leur revanche car Aube dorée n’existe quasiment plus du fait de la lutte antifasciste qui a été menée ici. C’est une lutte de terrain en 3 phases, dont la première est l’action directe dans la rue et sur Internet. Il s’agit de saboter toutes leurs actions dans la rue et dans leurs lieux de rassemblement. Par exemple, les membres du groupe Distomo, du nom d’un village grec rasé par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, ont évacué le quartier fasciste d’Athènes qui se trouvait autour de l’église Agios Panteleimonas. En Crète, Aube dorée a été évacuée de toutes les grandes villes sauf à Réthymnon où il y a encore quelques problèmes. La seconde phase de la lutte antifasciste est celle de l’éducation populaire. On comprend mieux les stratégies fascistes si on connaît l’histoire. Un gros travail d’éducation a été fait pour lutter contre le nationalisme mais cela a été facilité par le fait que les Grecs ont souvent dû émigrer ailleurs et ont par conséquent une bonne idée de ce que c’est que d’être un migrant. Bien qu’il existe toujours une forme de nationalisme distillé par les divertissements de masse comme la compétition sportive, la chanson nationaliste, les drapeaux placés un peu partout qui nous font croire qu’on doit se reconnaître d’une communauté politique sur un territoire donné, ce travail d’éducation populaire et d’éveil critique a permis d’avancer contre les idées fascistes. La troisième phase de la lutte antifasciste, c’est la solidarité partagée aussi bien pour les Grecs précaires que les réfugiés migrants sans aucune distinction. De ce fait, les fascistes ont reculé. Il y a toujours malheureusement quelques agressions. J’ai d’ailleurs été victime d’une embuscade, il y a quelques temps. D’un point de vue électoral, Aube dorée est tombée à moins de 3%, qui est le seuil pour pouvoir siéger au parlement alors qu’ils atteignaient 7% auparavant. Les trois quarts des responsables du parti l’ont quitté et la plupart des locaux sont abandonnés. Aube dorée a été laminée et contrairement à ce que l’on peut entendre parfois, ce n’est nullement l’action des politiques ou des médias, qui ont plutôt fait le jeu d’Aube dorée, mais celle des antifascistes. Pour finir, comme la droite au pouvoir a mené une campagne électorale très dure contre les migrants et les anarchistes, ils ont réussi à séduire une partie des électeurs d’extrême droite.

Les droits des réfugiés migrants sont-ils menacés depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement grec ?
La question des migrants est particulièrement essentielle en Grèce qui est une porte d’entrée majeure en Europe. Leur situation était déjà très difficile en ce qui concerne le droit d’asile car la Grèce est un des pays où ils y avaient le moins accès. Aujourd’hui ce sera encore plus difficile avec la réforme du nouveau gouvernement qui a supprimé le recours en appel pour les décisions défavorables. Mais, d’un point de vue pratique, leurs conditions de vie se sont considérablement durcies. En évacuant les squats autogérés dans lesquels les réfugiés migrants vivaient heureux en famille pour les envoyer dans des camps insalubres, le pouvoir les traite comme des indésirables. À cela, nous devons malheureusement ajouter le fait que leur droit à la couverture maladie leur a été supprimé, en conséquence de quoi leur situation en Grèce s’est largement dégradée.

Pourquoi le gouvernement grec redoute-il autant Rouvikonas [note]
et que prépare-t-il contre lui ?

Parmi les résolutions du nouveau gouvernement, il y a non seulement l’évacuation d’Exarcheia, mais également un durcissement de la répression contre les anarchistes. On parle beaucoup des anarchistes en Grèce dans les médias, mais ceux qui font le plus parler d’eux aujourd’hui c’est le groupe Rouvikonas. D’ailleurs, le président du parlement vient de rencontrer le nouveau chef de la police grecque afin de « mettre en place une ligne Maginot autour du parlement contre les anarchistes de Rouvikonas » de peur que le bâtiment ne se fasse à nouveau attaquer en représailles à celle subie par Exarcheia. Rouvikonas avait déjà attaqué le Parlement en 2015 et en mai dernier, entraînant une lourde peine de soixante mille euros à verser pour faire sortir nos camarades Yourgos et Nikos de prison. Cette somme a été rassemblée grâce aux soutiens venus de France, de Belgique et de Suisse. L’idée du gouvernement est de frapper Rouvikonas et Exarcheia afin de les neutraliser et d’empêcher de nouvelles actions de sabotage, comme la destruction des bureaux de privatisations des biens communs, des fichiers de surendettement, la perturbation des discussions avec la Troïka, ou l’attaque du Parlement ou des ambassades suivant l’actualité. Ce sont des actions qui touchent directement le pouvoir dans la logique de l’action directe et c’est bien là tout le problème, car à chaque fois que l’on remet en question ce pouvoir, cela dérange. C’est pourquoi Rouvikonas est en train d’être classé comme organisation terroriste au moyen d’une modification du code pénal, ce qui va permettre de considérer chaque membre actif ou moins actif de ce collectif responsable de tous les actes de l’organisation. Ces actes seront considérés comme des crimes quoi qu’ils produisent, du simple fait de cette classification. Il y a un vrai détournement de langage, c’est extrêmement grave. Une loi anti-terroriste s’adresse à celui qui sème la terreur. Mais le premier responsable qui génère la terreur, c’est le pouvoir avec sa police, ses lois, et ses inégalités. C’est ce pouvoir lui-même qui classe Rouvikonas, un collectif qui n’a jamais tué, ni blessé personne, en organisation terroriste même au niveau européen. Il faut remonter à la fin du XIXe siècle, lorsque les anarchistes utilisaient la propagande par le fait, pour retrouver de telles « lois scélérates » en France. Pourtant, en Grèce aujourd’hui, on est dans une logique différente puisqu’on ne frappe pas le pouvoir, en tout cas ceux qui l’exercent, mais les symboles du pouvoir. Pour l’instant en tout cas. Le mouvement anarchiste et plus particulièrement Rouvikonas n’a pas choisi cette voie-là. Il a choisi de détruire les moyens du pouvoir, même symboliquement puisque le pouvoir c’est avant tout du symbole. La Grèce, tant sur le plan économique, que social, mais aussi politique, est un laboratoire de l’évolution du capitalisme en Europe. Par conséquent, si on n’agit pas, cela va se répandre dans les autres pays d’Europe. En conclusion, en plus de la liberté de s’organiser politiquement et d’agir il y a aussi une menace sur la liberté d’expression se trouve également menacée. Le pouvoir souhaite revenir à des lois scélérates afin d’interdire toute expression d’opinions révolutionnaires.





Pourquoi et comment le capitalisme se durcit-il en Grèce ?
La situation s’est incontestablement détériorée. On nous impose un modèle qui existait déjà, pas en Europe, mais plutôt dans les pays dits en « voie de développement ». Ce modèle est en train de s’établir partout car le pouvoir possède de plus en plus de moyens de surveillance et il a, à sa disposition, tout un arsenal répressif qui l’autorise à ne plus s’embarrasser de ce qu’on a appelé le « capitalisme de la séduction » lorsqu’il y avait deux blocs, avant l’effondrement soviétique. Même si les anarchistes ne voulaient pas prendre parti, nous ne pouvions pas ignorer les rapports de force entre d’un côté le capitalisme d’État à l’Est et le capitalisme de consommation à l’Ouest. D’ailleurs, les aides économiques apportées à l’Europe comme le plan Marshall ont exporté le modèle de la société de consommation avec l’aide des médias de masse qui ont colporté toute cette propagande. Ce face-à-face a duré jusqu’en 1989 avec l’effondrement du mur, ce qui a été dit par Thatcher en 1984, « il n’y a pas d’alternative », s’est révélé être un fait durant les années 2000. C’est pourquoi, aujourd’hui, en Europe comme ailleurs, on va vers un modèle de capitalisme de plus en plus dur, c’est-à-dire une exploitation de toutes et tous, faisant passer notre vie après le profit. Cela va de pair avec la mise en place d’une société de plus en plus autoritaire : pour mettre en place ce durcissement, il faut également en durcir ses rouages. Ce qui est très préoccupant également, c’est que l’évolution de ces rapports de domination et d’exploitation nous conduit vers une dystopie environnementale. Au moment de la création de la seconde Internationale, nos grands aïeux anarchistes n’avaient pas cette urgence à prendre en compte. Mais aujourd’hui, il y en a deux qui s’ajoutent : celle de l’environnement et celle de l’évolution technologique qui confère au pouvoir de telles capacités de contrôle que les choses vont devenir de plus en plus difficiles. Si on continue comme ça avec Internet, les drones, les téléphones portables, la géolocalisation, et les manipulations eugénistes, on se dirige vers une société où il sera de plus en plus dur de résister. La technologie participe également à une évolution qui peut être considérée comme fasciste de ce point de vue car elle donne au pouvoir les moyens de consolider sa position. Selon nous, nous vivons une époque où il faut agir très vite parce qu’on ne peut plus attendre du point de vue écologique, technologique, social et politique. Aujourd’hui, nous assistons à une véritable dérive fasciste avec l’arrivée au pouvoir des Trump, Poutine, Erdogan, Bolsonaro, Orbán, etc. D’ailleurs, en France, qui sait si dans trois ans ce ne sera pas Le Pen qui accédera au pouvoir ? Tout ceci est logique au regard de l’imaginaire social que propose cette société. Cette lutte qui est la nôtre est urgente, elle se situe à la fois dans les rapports de force, mais également dans l’imaginaire social afin de convaincre les gens autour de nous, qu’on peut vivre autrement.

Est-ce que l’on peut encore parler de démocratie en Grèce ?
Que ce soit en Grèce ou ailleurs, ce concept est galvaudé. Le terme démocratie prétend que le peuple s’organise ensemble et détient le pouvoir collectivement. Cette conception de la démocratie est critiquée par les anarchistes car nous pensons que le pouvoir corrompt. La première difficulté est de se choisir des représentants qui exerceront le pouvoir au nom du bien commun mais qui privilégieront leur intérêt particulier. La deuxième difficulté vient du fait qu’en réalité, c’est le pouvoir économique qui détermine le pouvoir politique. C’est par exemple la propriété privée des médias de masse qui va permettre au pouvoir de l’argent de fabriquer l’opinion et de faire élire tous les 4 ou 5 ans ses serviteurs qui vont ensuite promulguer des lois qui lui seront favorables. La démocratie est donc viciée par le fait même qu’on délègue à quelques-uns le pouvoir qui les corrompt. On est donc en mesure de dire que les urnes ce n’est pas la démocratie. Voter est un moyen si l’on n’arrive pas à un consensus mais qu’il y a eu un débat suffisant. Il y a différentes façons de voter. Par exemple, si l’on vote pour des représentants cela s’appelle élire, mais on peut aussi voter pour des projets ou des mandats impératifs. Il ne faut donc pas confondre le vote et l’élection et il ne faut pas confondre le débat avec le spectacle du débat comme on nous le propose pendant les compagnes électorales. On nous propose un débat entre des personnes qui ne sont finalement pas si éloignées les unes des autres. Alors que le débat devrait débuter par des doléances et poser les problèmes des personnes concernées, on assiste à un jeu de chaises musicales entre des courants qui ne sont pas si éloignés les uns des autres. La démocratie est un concept qui vient de la Grèce antique et qui n’a jamais été appliqué correctement car les femmes, les esclaves, et les métèques en étaient écartés. Cela concernait donc peu de gens. Cependant, ce concept reste intéressant par rapport à d’autres formes de régimes politiques, mais ce n’est qu’une passerelle vers l’utopie. L’utopie serait la participation de tous à la chose publique afin de réfléchir collectivement à nos moyens d’existence. Les assemblées devraient permettre de décider, mais aussi de réfléchir, de débattre, de s’entendre, de se comprendre afin d’arriver au consensus. Je ne suis pas partisan de l’unanimité car lorsqu’il y a unanimité, il y a souvent uniformité de l’opinion. Avec le consensus, l’idée est de faire converger vers des projets communs. C’est beaucoup plus intéressant mais ça nécessite des assemblées plus longues. La démocratie c’est la préhistoire de l’anarchie. L’humanité a progressé dans plein de domaines. C’est pourquoi j’y crois. Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste car je considère que ce sont les deux versants d’une même illusion. Je veux choisir mes actes en fonction de convictions éthiques et donc le mot espoir ne me convient pas. Cependant, je suis convaincu que nous sommes capables d’autre chose. Ce que nous prouve l’art dans la transcendance du sujet et dans la sublimation c’est ce dont nous sommes capables et ce qu’il y a au fond de nous. C’est une capacité à être vraiment différent, c’est pourquoi je fais le pari de la vie. Mais pour sortir de la préhistoire de la politique, il va falloir lutter car les gens qui ont le pouvoir, qui ont l’argent, la position, la notoriété et tout ce qui leur fait plaisir et que nous rejetons, ne veulent pas le lâcher et sont prêt à nous tuer pour ça.

Comment peut-on organiser le soutien international pour la défense d’Exarcheia ?

Ce qui a été fait est déjà fantastique et nous a fait chaud au cœur. Je dois vraiment vous dire que cela a été déterminant. On a reçu beaucoup de communiqués, de photos, de messages. Avec les rassemblements, mais aussi les actions de destruction contre les intérêts de l’État grec, à l’étranger chacun a fait à sa façon, selon ses convictions. Si vous voulez nous aider, il est vraiment important de continuer à faire pression sur les consulats et ambassades de Grèce à l’étranger. Outre les évacuations d’Exarcheia, il faut réagir aussi contre la criminalisation du mouvement social. Nous aurons d’ailleurs des besoins financiers pour payer les frais de justice et pour les lieux autogérés qui ont subi des dégâts à la suite des interventions policières. Ceci nous a donné du courage et continue à le faire puisque nous continuons à recevoir des messages du monde entier. Cela donne vraiment à réfléchir sur le fait que nous ne sommes pas seuls. Beaucoup de monde pense comme nous. On a beaucoup plus de potentiel que ce que l’on croit. C’est surtout l’imaginaire social qui fait que les choses basculent. Les régimes politiques peuvent tomber très vite. Les grandes fortunes peuvent être expropriées très vite. On peut même détruire l’argent comme en Espagne en 1936. Tout ceci serait à notre portée si seulement les gens avaient un peu moins peur. C’est la peur qui permet de dominer autrui. Refuser la peur, c’est refuser sa production de résignation et de désespoir. Tandis que la vie, c’est résister, et résister, c’est exister.

Ce refus de la peur sera d’ailleurs au cœur de ton prochain film qui s’intitulera Nous n’avons pas peur des ruines ?

Le quatrième film dont le titre est emprunté à Durruti est en construction. On avait prévu de se reposer après le dernier, mais les événements se sont accélérés avec les élections anticipées et l’arrivée de la droite au pouvoir. Les gens proches de toutes ces luttes m’ont dit que l’on ne pouvait pas attendre et qu’il fallait refaire un film. Toutes ces personnes qui les font avec nous, nous ont poussé à nous remettre sur ce nouveau projet collectif. Lorsqu’on fait des films, on les fait gratuitement en tant que militants. On ne veut pas gagner d’argent avec la lutte et tirer profit de cette activité. Je veux mettre à disposition le produit de ce travail sans copyright même si de temps en temps on fait des projections lucratives pour soutenir la lutte. Mais nous avons très peu de moyens matériels et techniques et nous devrons donc recourir au soutien financier des militants inclusif… ? C’est en tant que membre des collectifs d’Exarcheia, en collaboration avec ma compagne Maud et mes autres camarades de lutte que l’on va vous montrer comment on réagit par rapport à ce qui nous arrive. Comment on résiste face à la plus grande menace qui soit, c’est-à-dire la destruction totale de la plus grande utopie européenne d’autogestion qu’est le quartier d’Exarcheia. Le fait que l’on veuille toucher à cela était très prévisible et correspond tout à fait à l’attitude du pouvoir dès lors que des alternatives sont trop visibles et qu’elles remettent en cause son autorité. Exarcheia est devenu un trop mauvais exemple aux yeux du pouvoir qui n’arrive pas à en prendre le contrôle. Exarcheia n’est une zone de rupture qu’avec le vieux monde capitaliste. Outre les 23 squats autogérés, il y a aussi des lieux en location ou prêtés où l’on peut trouver des produits gratuits. Ces lieux fonctionnent différemment du mode traditionnel de la société capitaliste. Ils se fondent sur les principes de la gratuité, de l’entraide, de la démocratie directe, de l’anarchie. Par exemple, juste à côté, se trouve la structure autogérée de santé d’Exarcheia qui dispense des soins et des médicaments gratuitement par des professionnels bénévoles, aussi bien aux précaires locaux qu’aux réfugiés migrants. On fait les choses sérieusement car « l’anarchie, c’est la plus haute idée de l’ordre ». Dans ces lieux se manifeste une intelligence collective qui est quelque chose d’absolument extraordinaire. Dans les assemblées surviennent des idées sublimes tant pour la lutte que pour la création d’initiatives, de projets, de suggestions, des éléments de résolutions de problème qui sont vraiment des clés pour avancer. Ces clés on ne peut les avoir qu’en prenant le temps d’échanger, de réfléchir ensemble sur un plan d’égalité pour arriver à construire cet embryon de société que l’on désire.

Ces propos ont été recueillis le 5 septembre 2019 à Exarcheia par le groupe la Révolte de la Fédération anarchiste.

La version vidéo de cet interview est visible sur le blog de Yannis Youlountas : http://blogyy.net/
Une soirée de soutien est organisée le vendredi 4 octobre à la librairie Publico en soutien à Exarcheia avec la diffusion du film : « Ne vivons plus comme des esclaves » avec une rencontre en visio-conférence de son réalisateur : Yannis Youlountas.



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PAR : Groupe La révolte
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