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par Un lecteur anonyme le 14 janvier 2019

la pensée libre est gelée

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"Le ML reçoit régulièrement des textes polémiques envoyés par des lectrices et lecteurs. Nous les publions pour introduire des débats et amener une réflexion sur nos propres mouvements. Les propos n’engagent néanmoins que l’auteur de l’article."



L’eau suit le cours de la rivière. La grosse pierre grise lui bloque la route. Dans une infinité moléculaire le libre liquide dévie, se démultiplie, s’étiole, se condense, se ramifie il se fragmente glisse, coule, gèle et disparaît presque. Enfin il retrouve tranquillement des formes multiples.
Puis vient le barrage hydroélectrique.
Alors les gouttelettes se souviennent qu’elles sont issues d’une même rivière mais il est trop tard. Il est impossible de reformer ce qui n’existe plus simplement parce qu’il n’y a plus de cours. Certaines se fédèrent et s’accrochent à la mémoire aquatique. Amères d’avoir trop longtemps suivit leur route, elles sèchent mais libèrent quelques minéraux salutaires emprisonnés dans leur folle course.
D’autres stagnent et forment un lac. Et à sa marge quelques micros humidités passionnées par la vie hurlent en ondes contre le béton. Elles comprennent l’urgence de sortir de l’artifice sans quoi elles sécheront elles aussi à cause du soleil qui brûle de plus en plus fort la surface du lac prison. Mais le lac baigne. Lui aussi se bat. Il a lui aussi en mémoire le cours initial de la rivière. Il sait qu’il ne faut pas revenir en arrière, qu’il faut continuer à faire front face au barrage et qu’un jour, quand toutes les molécules qui le compose, onduleront en cercles concentriques, une même vague émergera, c’est sûr, il cédera.
A la marge, certains foyers sont sceptiques. Ils savent que, de la même manière que de creuser le lit de la rivière n’est plus possible, stagner ne l’est pas non plus. Alors, bien maladroitement sans doute, ces gouttelettes dissidentes grignotent la paroi du barrage. C’est une course contre l’horloge désormais finie du temps. Elles envoient des rapports aux molécules profondes mais ces dernières, imbues de leurs positions réprimandent.
Pire, elle dénigrent, insultent et même sabotent. Elle ne voient pas que dans la lutte, de nouvelles associations chimiques se font. Pas par plaisir mais pas nécessité.
Mais il est déjà trop tard. Le soleil brûle le lac. La vie s’évapore progressivement. Le barrage ne chancelle pas. Le lac est maintenant asséché et la vie à disparue. Quelques siècles plus tard, le barrage abandonné s’effondre dans un néant biologique.
Le soleil brûle : Indignation toto-logique.

Si vous êtes indignés à la lecture de ce texte, c’est de vous qu’il parle.
Sommes nous nés-ées anarchistes ?
Si vous avez été élevé-ée dès le biberon aux cantiques révolutionnaires vous avez bien de la chance d’avoir vu si vite les tumeurs de la société. Ou peut-être avez vous opéré une révolte puissante car ayant eu accès au savoir, vous avez eu accès au pouvoir.
Mais voilà qu’aujourd’hui que vous vieillissez derrière vos écrans, vous semblez répéter les mêmes phrases, les mêmes interprétations. Les individualistes sont les tyrans de leur tête et de rien d’autre et les communistes des chrétiens recyclés, partisans par essence. Syndicalisme contre action directe, insurectionalisme contre pacifisme, autonomes contre fédérés, plateforme contre synthèse et j’en passe.
Tous ces précurseurs-seuses qui nous ont montré la voix n’ont jamais parlé de suivre aveuglément leurs préceptes. Ne voyez-vous pas que votre catéchisme, vos cantiques, vos idoles fétiches, vos transcendantales citations du passé, certes glorieux mais révolu (auquel vous n’avez pas participé-ée puisque vous n’étiez pas nés-ées), vos batailles politiciennes rangées ne nous sont en rien utiles face au « soleil qui brûle ». Vous l’avez trouvé vous ? LA méthode ? LA bonne façon de sortir du capitalisme ? Mais quand on l’écoute cette méthode, on en cerne toutes les approximations scientifiques. Cela est facile pour celleux qui, noyés-ées dès leurs premiers pas militants dans l’abondance critique accessible sur la toile, ont commencé par faire l’archéologie du savoir.
Vous nous méprisez du haut de votre expérience. Vous sénateurs-trices de l’anarchie. Vous ne comprenez pas notre culture. Vous nous haïssez car nous vous rappelons vos jeunes années de fougue que vous ne pouvez plus vivre : le pouvoir vous tient, le pouvoir c’est vous gérontocrates.
Gérontocrates par l’âge venant, sans perpétuation d’une réflexion critique sur le monde ET sur vous-même. Mais gérontocrates aussi ces jeunes qui, avalant l’habitus militant, sans remise en question, rapportent les mêmes conneries sans apport critique, sans aucune tentative de construction nouvelle, sans espoir ni solidarité, sans fabrication du commun. Dans toutes les écoles.
Vous avez tout simplement oublié d’être bons, bonnes, pétris-es de susceptibilité autoritaire, d’espoir perdus et
d’aigreur militante. Vous n’échangez plus les idées avec le monde entier, vous lancez vos slogans tous cuits à la face comme autant de prières. Vous ne vous lancez plus dans la foule qui gronde et qui travaille, qui n’a pas le temps de lire vos reliques du passé. Vos gueules sont aussi grandes que celles du prêtre d’antan.
A celles et ceux qui pensent que suffit l’abolition du capital, de l’État et de la religion : vous n’écoutez pas. Les jeunes qui, pris-ses dans l’ardeur des mouvements sociaux, vous livrent leur regard sur le monde, regard non
conforme à vos catégories du passé qu’ils ou elles ne connaissent pas ou mal, vous les étiquetez dans ces stigmates historiques centenaires : vos frayeurs. Nous n’avons pas peur.
« Rouges bruns », « trotsko », « stal », « petits bourgeois-ses », « fascistes » à tout va et autres blessures qui découragent les néophytes. Vous l’avez vécu, vous, Kronstadt ? Vous vous y êtes battus ? Arrêtez d’en parler comme on le ferait d’un saint martyr, mais parlez en comme d’un argument rationnel pour convaincre ! Et le comble pour vous, c’est de voir que nous n’excluons pas de nos rangs libres les croyants ! Donc les réfugiés on les laisses crever ? On leur crie dessus pour mieux leur retirer le voile ? Écoutez-vous parler, prêcher l’anarchie comme la bible : à coups d’épée. Vous êtes cauchemardesques ! Ni morale, ni loi !
Oui j’ose le dire, il y a des communistes ou des croyants-tes moins « stal », moins sectaires que des cyber-anars autant qu’il y a de vieux tyrans « trotsko » qui embrigadent des jeunes révolutionnaires sincères autant qu’il y a de curés et autres mollahs vicieux qui prêchent l’intégrisme là ou réside la souffrance.
Ces jeunes là sont proches de nous qu’on le veuille ou non. Nous sommes proches d’eux, d’elles. Ils et elles ne sont pas l’armée rouge. Ils et elles ne sont pas l’armée blanche. Nous ne somme pas l’armée noire. Nous ne sommes pas armés-ées du tout et nous sommes tous et toutes ridiculement faibles face au capitalisme.
Ceci n’est pas un appel à l’union des contraires. On s’en fout catégoriquement de l’union. Ceci est un appel à la désectarisation des propos et des pratiques. Ceci est un appel à une discussion et un échange d’idées nouvelles tout simplement parce que le contexte n’est pas le même qu’en 1871, 1918, 1936, 1968…
Lisez la culture troll et vous comprendrez.
Vous ne maîtrisez ni la complexité de l’Histoire ni l’évolution de la critique Sociale. Personne ne le peut.
D’ailleurs vous n’en n’avez plus rien à foutre du socialisme scientifique.
Épargnez donc vos brimades à celles et ceux qui tentent la diversité des méthodes, qui tentent d’inventer de nouvelles formes de vie. Dès qu’un tabou est franchi, aucune lecture sociologique fine, aucune empathie, aucune raison. Et l’argument ultime est toujours le même : cette anti réflexion, ce nihilisme de la pensée.
L’échange s’arrête catégoriquement. Il devient pathétiquement une guéguère sans cordialité, sans respect.Derrière le kaléidoscope informatique, derrière les images du spectacle permanent et autre transhumanisme antisocial.
Quand un individu moins doué en hurlements que vous affirme que vous êtes sexiste, raciste, homo/transphobe, psychophobe, toxophobe, paternaliste, validiste, âgiste, spéciste, classiste, autoritaire... ou oppressant tout simplement : vous l’êtes ici et maintenant. Vous fermez votre grande gueule et vous rentrez en introspection comme tout le monde. C’est aussi ça l’autogestion. Vous essayez de comprendre pourquoi on vous a perçu comme tel et éventuellement vous présentez vos excuses.
Ainsi l’on s’étonne du vide organisationnel chez les anarchistes. Plus personne ne fréquente les églises libertaires. Vos querelles de chapelles et votre non respect, votre censure, votre non écoute ne donnent pas envie. Elles ne séduisent pas.

Avec le mécontentement grandissant, des militants-tes de tous bords effectuent un travail de terrain et le, la prolétaire hier coupable de tous les « pêchés » devient petit à petit le, la « camarade » de demain.
Sortez aussi de vos cercles sectaires, virtuels ou non, et allez à la rencontre des travailleurs-euses. Sans tambour ni trompette, sans dieu ni maître ni jugement de valeur pour elleux qui depuis toujours subissent la propagande, et ce flot informationnel perpétuel. Vous verrez qu’au contact des gens prétendument « apolitiques » ou construits par le spectacle comme des « fachos », terme utilisé abusivement à tort et à travers, la discussion est possible pour autant qu’on ne se braque pas à chaque argument issu du sens commun.
Creusez, demandez pourquoi et déconstruisez sans passion et avec le sourire, ça passe mieux. Et si vous faites face à un discours individuel stigmatisant, pré-construit et non pensé et réfléchi comme tel, être ferme et diplomate à toujours mieux fonctionné que des menaces, des insultes ou des cris.
Vous qui savez, ne devenez pas les tyrans de ceux qui n’ont pas le pouvoir de savoir.
Se moquer, se gausser des « moutons », des « incultes » de « l’obscurantisme » c’est du mépris de classe à gerber. Vous concentrez du capital culturel et vous le lancez plein d’arrogance à quiconque ne sait pas. Quelle part laissez-vous à la détermination sociale ? Quelle part laissez-vous à l’erreur ? Quelle part laissez-vous à l’incompréhension ? Au confusionnisme ? Êtes-vous de celleux qui ont oubliés-ées de convaincre ? Êtes vous si aveuglés-ées que vous en avez oubliés-ées d’être modeste ? Arrêtez d’asséner vos condamnations sociales sans aucune tentative d’objectivation. Les victoires anarchistes se situent autant dans les petits actes que dans les grands.
Croyez bien que ceci n’est pas un appel à la dissolution de l’idéal libertaire dans une soupe mixte. Ceci n’est pas du vieil taupisme à deux balles qu’il faut aussi combattre. C’est simplement actualiser, affûter notre regard sur cette société mille fois plus cadenassée qu’auparavant par la technologie, la bureaucratie, et aliénée en permanence par le neuromarketing omniprésent.
Aujourd’hui, presque tout le monde est dépossédé-ée de contrôle par la machine, la division du travail et l’automatisation. Dans toutes les couches sociales un soubresaut de prise de conscience est là, à notre porte. Il faut le saisir. Sans quoi nous passons à côté du peuple. Pire, nous laissons la possibilité aux monstres de grossir.
Les antagonismes de classe ne sont plus les mêmes que du temps de la rareté et surtout, surtout, surtout « le soleil brûle de plus en plus sur le lac ».
Ce texte ne dit pas autre chose que face à l’effondrement systémique des écosystèmes et de la civilisation énergétique, nous n’avons pas d’autres choix, pour celles et ceux qui espèrent encore voir survive l’espèce humaine, que de pratiquer l’autogestion en abondance et partout. Et si demain le monde s’écroule, je préfère mille fois survivre avec des initiés calmes qu’avec des anarcho-autoritaires aigris-es !Ce texte est une expression libre et individuelle. Il ne constitue en rien un dogme « à suivre ». Le ton accusateur n’est pas moral au sens strict, c’est une non-morale pour la « morale anarchiste ». Dans un style du passé qui s’adresse à des gens du passé. Rien de tout ceci n’est un ordre. Libre à vous de critiquer et d’élaborer une réponse construite. Ou autre. Libre à vous de me placer dans une case pour mieux me tuer. Je vous la donne même pour vous simplifier la tâche : anarcho-communiste et autonome.
Mort à toutes les dominations. Autogestion ou Annihilation.
PAR : Un lecteur anonyme
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le 18 janvier 2019 18:57:49 par Elicec

Il y a des saines colères qui font tellement de bien à lire... elles trouvent un echo dans l’urgence où nous sommes, d’accompagner avec bienveillance chaque tentative d’auto libération de tous ceux qui en chie en ce moment, mais sont dans les rues ensemble aussi différents que possible, nous inventons l’eau chaude à chaque génération faudrait pas l’oublier et gader l’oeil bienveillant au lieu de se figer, c’est certain.
Il est dit: "Pas par plaisir mais pas nécessité." Et pourquoi selon les caractères ce ne serait pas aussi par plaisir...

2

le 18 janvier 2019 20:07:14 par Nicolas

Très intéressant! Les temps changent.
Le langage neutre nuit cependant à la, le, -és,-ées,-éeees lecture.

3

le 20 janvier 2019 10:21:52 par bongiraud jean-michel

En écho à ce texte ( regret de l’anonymat ), sincère et ouvert au bonheur, parole nécessaire et féconde contre tous les dogmatismes, je joins ce poème extrait d’un recueil en cours "Caquètement" :
J’ai épelé mon nom
mais rien ne rappelle mon être
Il appartient au silence
à ce creux où tout se lie
Les hommes ont envahi les lieux
ivres de leur aventure terrestre
Ni eux ni moi ne survivront
L’instant est là
où la vie se recueille
entre la parole énoncée
et le mot habitant l’espace
C’est ce silence entre les deux
qui nous appartient
Notre sauvagerie en fait disparaître le sens
J’ai épelé autrefois mon nom
autant que celui des autres
mais notre suffisance nous transporte loin
au-delà de ce vide où la vie pourrait paraître
et de ce silence qui nous féconderait.
jean-michel bongiraud