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par Hugues Lenoir, groupe Commune de Paris le 18 mars 2018

Une Université qui se délite ?

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Article extrait du « Monde libertaire » n° 1791 de janvier 2018
Avant d’évoquer le projet inégalitaire porté par Macron pour l’Université publique, il convient de rappeler quelques évidences.

Certes, l’Université depuis les années 1970 est plus accessible aux jeunes des couches populaires mais, en règle générale, leurs parcours ne sont pas de même nature… Cursus plus courts, accès difficile ou compliqué aux filières dites d’excellence, qui, de fait ne visent qu’à former et conformer les « petits chefs de cordée ». Depuis fort longtemps, la bourgeoisie s’est organisée quelques prés carrés comme l’université de Paris-Dauphine, Sciences-Po, Normale Sup Paris ou encore Polytechnique et quelques autres établissements de prestige, souvent privés et coûteux, où les résidents des beaux quartiers pataugent tout à leur aise. De plus, les rejetons les plus aisés vont souvent terminer leur initiation d’exploiteurs sur les grands campus étasuniens afin d’affiner leur amour et leurs pratiques du libéralisme économique. Le mythe d’une égalité, quant à l’accès à l’enseignement supérieur, est de fait un mythe bien réel qu’il est important d’alimenter pour que les crédules continuent d’adhérer au système. La reproduction « bourdieusienne » des héritiers ne fut donc jamais vraiment menacée, même si l’appareil de production-exploitation a davantage besoin aujourd’hui que hier de têtes bien pleines. Enfin, au regard des statistiques d’échec – 50 % dans les premières années –, il apparaît que ceux et celles qui échouent sont bien souvent d’origine modeste. Ils ont un bac pro qui ne les a pas préparés aux méthodologies du travail universitaire, ils sont étudiants-travailleurs – un étudiant sur deux –, ils « repiquent » plus souvent et ils habitent rarement en centre-ville… Bref, l’université à deux vitesses est bel et bien une réalité. La démocratisation de l’enseignement supérieur fut toujours en trompe-l’œil et visait, au mieux, à fournir l’État et le capital en main-d’œuvre plus ou moins qualifiée.

Coup de clairon méritocratique


Quant au projet Macron, il ne vise qu’à parfaire le dualisme universitaire entre université pour riches et université pour pauvres, en préservant toutefois la possibilité d’extraire des couches populaires ses « meilleurs éléments », afin de les domestiquer et d’en faire des soldats zélés du système qui les aura promu. Vieille pratique que celle-là… On promouvait le paysan en instituteur dans les années 1930, l’ouvrier qualifié en contremaître, suite à la loi sur la promotion sociale de Debré après 1959. On n’a pas oublié, depuis les années 1980, le syndicaliste bienveillant et réformateur (lire docile). Un coup de clairon méritocratique par là-dessus suffisait pour que le tour soit joué et la règle révolutionnaire du refus de parvenir oubliée.

Pour en revenir au projet de la ministre Frédérique Vidal, il devrait mettre fin à la scandaleuse pratique du tirage au sort dans les filières très demandées, mais à quelles conditions ? Il vise aussi à mettre en place des parcours personnalisés, mais pour qui ? Tout cela est bien flou. Ce qui l’est moins, se sont les risques de sélection dès le lycée, où les profs devraient voir leur rôle de « conseil » renforcé à travers l’examen des dossiers de candidature des lycéens dans les établissements du supérieur. Il ne s’agit-là que d’un habillage afin de rendre plus lisse, voire plus acceptable, une orientation « bienveillante ». De fait, il s’agit d’examens sur dossier, de définition d’attendus – en d’autres termes de prérequis – pour intégrer telle ou telle filière, autant de prétextes pour refuser certains profils.

Un système encore plus inégalitaire


Le projet de loi prend soin d’éviter les termes de « sélection » et laisse l’écrémage aux mains des universités souveraines. L’inscription en premier cycle (licence) pourra être conditionnée par l’acceptation par le futur étudiant de s’engager dans un dispositif d’accompagnement personnalisé proposé par l’université d’accueil. En d’autres termes, c’est la double, voire la tripe peine pour certains étudiants : « attendus » inaccessibles à dessein, cursus plus lourd qui peut rendre tout travail salarié impossible, durée allongée des études – donc difficile à supporter par les familles les plus modestes. Au final se déploie un système encore plus inégalitaire qu’aujourd’hui. Mais qu’on se rassure ! Comme par le passé, il restera pour les plus modestes, les filières courtes pour subvenir au besoin du Medef et lui fournir une main-d’œuvre qualifiée à moindre coût. Quant au nouveau logiciel de préinscription à l’université, on en reparlera après les bugs. A l’avenir, le projet d’une université à deux vitesses sera probablement encore renforcé. Nous n’en sommes qu’au premier acte. Il est probable que dans la tête du très élitiste et libéral Macron, un modèle à la sauce étasunienne se profile. A savoir, des universités publiques sous-dotées en moyens pour les couches populaires et des établissements d’élites privés avec des frais pédagogiques exorbitants pour les plus privilégiées. Le corollaire d’un tel système est connu : recours massif aux prêts étudiants, endettement à vie et enrichissement des banques (1). Mais ne s’agit-il pas plutôt de son fondement ?

L’éducation est bien devenue une marchandise. Comme pour la consommation alimentaire, c’est Lidl et la malbouffe pour les uns, Fauchon et les bulles pour les autres.

[note]
PAR : Hugues Lenoir, groupe Commune de Paris
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