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Travail social
par Sylphe le 28 décembre 2020

Trash Psychiatrie – Partie 2 - « Fuir ou crever ? »

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Dessin de Denis Lopatin

Pour un retour sur la 1e partie

Ça tombait bien, j’arrivais à la fin de mon CDD. N’ayant personnellement qu’une envie c’est de fuir ce mini-Shutter-Island, je déclinais la proposition paradoxale de la DRH : « je vous propose un CDD de six mois, signez » (tout cela énoncé froidement). « Non merci, (répondis-je) je préfère que nous en restions là, les indemnités chômage me permettront de chercher du travail ailleurs ».
C’est là que je compris la perversité du système : cet hôpital de banlieue ne cotisait pas aux assédics. C’est l’hosto qui était censé payer les indemnités. La réponse foudroyante de la DRH fondît sur moi comme la foudre : « Ne rêvez pas ! Jamais je ne vous paierai le chômage, soit vous signez le temps de trouver du travail ailleurs, soit vous démissionnez ! Mais n’espérez pas une seconde que je vous paye la moindre indemnité ! » OK bien reçu.
Rétroactivement, je comprends la phrase du CHSCT « ici, leur spécialité, c’est de pousser à la démission ».
N’attendant pas d’héritage, n’ayant que la rue en perspective et n’ayant pas le sentiment d’avoir commis une faute grave sauf celle « de ne pas savoir faire allégeance » (dixit ma chef de pôle ). Je tombais brusquement malade. Cinq mois. À mon retour, mes collègues crurent voir un spectre ! Le fou revenait.

On me déplaça de service en service, de bureaux en bureau, histoire de me faire craquer, fabriquer du stress, de l’instabilité émotionnelle, un must du management dans l’hôpital devenu entreprise. Je craquais (comme tant d’autres craquèrent). Néanmoins, durant ce temps je continuais d’observer la façon dont les patients étaient traités en secteur fermé : isolement, attachement, sédation violente, diagnostiques de psychose ou de « troubles de la personnalité » posés en huit secondes par le psychiatre. Essais sur chaque patients des neuroleptiques à la mode prescrits par les gentils laboratoires. Zéro écoute, zéro empathie. Un service de psychiatrie et d’accueil ? Non, une geôle et un laboratoire d’expérimentation.

Un jour une patiente, la trentaine, mince, intelligente, agitée, hypomane [note] , arriva ans le service (quelle année étais-ce ? peut-être 2012, 2013, je ne sais plus). Bien des méthodes suffisamment douces et compréhensives auraient pu lui être administrées. Mais non ! on lui fila (de force) un neuroleptique corsé : elle prit trente kilos en quelques mois ! Le personnel sembla étonné que la patiente, attaquée dans l’image de soi, puisse être furieuse de se découvrir ainsi traitée. Sa colère ? Celle-ci constituait bien la preuve (pour eux) que ça allait mal « dans le psychisme » de la patiente et que le traitement était indiqué. CQFD. La remise en question d’un traitement ne se discute qu’entre médecins. Moi, en tant que simple soignant, je fis une autre gaffe : j’interrogeais l’un des psychiatres sur la validité du traitement et l’évolution de plus en plus funeste de l’humeur de la patiente. Nouvelle sanction. Menace, morale, la routine.

Un matin, nous apprîmes le suicide d’un patient schizophrène qui, ayant fugué, s’était jeté du haut d’un pont. Ordre fut donné par la cadre supérieure (elle-même aux ordres du nouveau chef de pôle) : « nous demandons à toute l’équipe de ne pas savoir comment est mort le patient. »
La classe. Pour une injonction, c’était une injonction ! Justement le genre d’injonctions qui ne demandent qu’à être transgressées, et à éveiller la curiosité la plus morbide. Plus perverse injonction, tu meurs. Et derrière tout cela : aucune élaboration, aucune reprise, Rien. On appelle cela le soin en psychiatrie ou la chaine du silence (à qui le prochain ?).

Puis arriva ce matin de printemps (il me semble que c’était le printemps). Un hôpital parisien nous avait envoyé une patiente qui était de notre secteur. Une femme, mère de deux enfants, polytraumatisée dans l’enfance, ultra-maltraitée dans son travail, sans parler des conditions de « vie » conjugales. Cette patiente, dans un état d’épuisement et de souffrance dramatique, venait de faire trois tentatives de suicide. Dans le service, après le passage peu empathique de son mari (elle n’était là que depuis quelques jours), elle fit deux autres tentatives de suicide. Réaction du service : cette femme qui n’était en rien psychotique, ni agressive, fut placée en chambre d’isolement et attachée. Il se trouve que c’est une patiente que j’ai par la suite reçue et suivie en thérapie durant quelques années. Elle eût tout le temps de m’indiquer les diverses formes moralement sadiques avec lesquelles, dès son arrivée dans le service, un médecin « s’autorisa » à lui parler sur le ton docte des inquisiteurs. Puis ce fut le tour d’une autre psychiatre, de prendre le relai par la culpabilisation : « vous n’avez pas honte ? Vous essayez de vous suicider, mais avez-vous pensé à vos enfants ? »
Quel tact décidément. Et justement, nous étions lundi, le jour de la réunion de synthèse où se décide l’avenir des patients. On fit part au grand patron (nouveau chef de pôle) qui, immédiatement décréta : « faites sortir cette patiente du service ! Sans tarder ! Ses tentatives de suicide sont d’une intolérable agressivité contre nous, les soignants ». Silence médusé et complice de l’équipe. Je pris la parole, scandalisé : « vous voulez mettre dehors cette patiente à peine arrivée, suicidaire, dans un tel état d’épuisement ? Et si dehors elle se tue ? »
Réponse édifiante du Boss avec un petit sourire pervers : « Mais enfin, tu sais, LA VIE, C’EST DUR ! ». La patiente ne dut sa survie que grâce à l’intervention d’une psychiatre que j’appelais en urgence, qui la reçut à sa sortie, l’écouta, constata effrayée, l’état dramatique de cette femme et parvînt à la mettre à l’abri dans une autre institution, plus accueillante, qui durant six mois, tenta de la remettre sur pied.
Quant à la réponse cynique du médecin accompagné d’un sourire (« mais tu sais, la vie c’est dur »). Je continue, encore aujourd’hui (en 2020) à me demander ce qui me retînt de lui soumettre cette autre question : « et si l’on t’arrache un bras, pourrais-je aussi te dire que la vie c’est dur ? »
L’ignoble silence complice de l’équipe regardant ses pompes, est incontestablement un élément qui renforce le pouvoir du pervers, du tyran, quel que fut le grade minable de sa puissance
S’agit-il ici d’une « expérience clinique » ? comme on a coutume de dire. De mon point de vue, je parlerai davantage d’épreuve traumatique pour la patiente.

Ce texte est effectivement une mise en accusation des méthodes de soins, de management, le plus souvent ridicules et auréolées de feinte bienveillance, pourvu que les accréditations donnent leur aval annuellement (le pognon, toujours).
Bienvenue dans la toute-puissance de la psychiatrie-managériale. On ne peut rêver pire (je débloque, il y a toujours pire).
Je m’en suis fait une idée du soin, à l’aune de ceux qui en pâtissent.

Le plus dur dans ma situation fût de réfréner ma colère, ma révolte, mon dégoût de l’institution où j’ai constaté les diverses façons dont une équipe de « matons » aux ordres d’un psychiatre s’y prend pour massacrer l’identité, ou ce qu’il en reste (du moins après le passage aux urgences) des patients atteints de « pathologies psychiques ». Âpre syntaxe.
Première épreuve : après l’étape humiliante du déshabillage, l’épreuve de la sédation ! Gare aux piqures. Certains traitements vous réduisent en loque d’hôpital plus vite qu’il n’en faut pour le dire. Shooté, bavant, titubant, incapable de regrouper ses pensées, arrive l’épreuve de l’entretien avec le psychiatre (souvent accompagné d’un mâle infirmier, courageux les mecs). Avalanches de questions intrusives souvent plus fermées qu’ouvertes adressées à quelqu’un mis en situation d’interrogatoire, donc forcément stressé, une vraie garde à vue. Bien entendu la sémiologie multi-axiale du DSM [note] saura vous ranger prestement dans une catégorie psychiatrique, un code (le RIMP [note] ) rentré ensuite dans l’ordinateur par un psychologue normopathe [note] . Désormais cette « marque caractéristique » vous suivra à la trace dans votre carrière d’être humain, et à la prochaine bévue, au prochain trouble sur l’ordre public : retour à la cage départ. C’est que la sémiologie psychiatrique est un système de conventions qui prétend statuer sur le « réel » du patient tout en ne cessant d’élargir son spectre (tous malades potentiels, c’est l’implantation perverse dont parlait Foucault dans la « Volonté de savoir » qui se réalise : tout devient objet d’une surveillance possible).

Comme les modes vestimentaires, les manuels de classifications changent au rythme des « saisons des nouvelles molécules », molécules de neuroleptiques en mesure de fournir à la vente un nouveau traitement contre la maladie « à la mode » (en ce moment, la Bi-polarité a la cote). C’est un sacré spectacle de voir chaque année se pointer en réunion, le commercial mandaté par tel laboratoire, vous faire l’article de la pilule miracle. Le commercial ne vient d’ailleurs jamais sans ses petites offrandes : croissants, pains au chocolat, jus de fruit, parfois cadeaux personnalisés (jadis, les choses se voyaient trop : les labos payaient carrément aux toubibs des voyages organisés au Brésil ou à Cancun, par exemple ! Cool). En échange, les psychiatres sont implicitement tenus de prescrire le médoc susdit aux patients-cobayes. Non vous ne rêvez pas. Effets secondaires des médicaments, efficacité réelle ? Ce sont des questions qu’on ne pose pas. C’est un peu la mauvaise conscience du Labo : prise de poids massives, pertes de cheveux, troubles hépatotoxiques, extinction de la libido, atteintes cognitives, dyskinésies « tardives » etc…Qu’importe le flacon pourvu qu’on produise un patient tassé, désubjectivé, docile, « stabilisé » en un mot.

Taire ma rage, mon envie de gerber et ma honte, en ces circonstances, ne fut pas possible très longtemps. Assister durant onze années chaque semaine à des arrivées de patients attachés comme une fête à la saucisse vous rend vite coupable de cautionner les pulsions sadiques (non examinées) des soignants eux-mêmes.
Un jour de 2014 (me semble-t-il) une psychologue dévoile en pleine réunion (on nomme cela un « collège ») un nouveau scandale : un psychiatre se tapait sa patiente depuis quelques temps, l’aveu venait de la patiente elle-même s’adressant en miettes à la psychologue (il s’agissait d’une double prise en charge). Dans la réunion, nul ne fit cas de l’affaire. Et dans la hiérarchie, on minimisa, pas d’enquête, seule une phrase circula faiblement dans les couloirs : « il s’agit d’une simple rumeur ». Pas touche aux médecins. La psychologue fut poussée à la porte, forcée de décamper. « Les rumeurs, il faut s’en méfier » lui a gentiment répondu le chef de pôle. La psychologue quitta l’hôpital, écœurée (on l’avait poussée un peu). Quant au docteur séducteur, il exerce encore ses talents à l’hosto avec l’absolution de la chefferie. Qui dira encore que le corporatisme n’existe pas ? Qui oserait dans un tel contexte, interroger les conditions de possibilités de violences redoublées ?

Comme tout rituel équivoque, chargés de sauvagerie invisible, il faut bien une légitimation sinon théorique, du moins médico-administrative. C’est aussi à cela que servent les pathétiques réunions de synthèse (nommées parfois « temps institutionnel »). Ces temps autrefois, un temps pas si éloigné (remonter pour cela à Tosquelles, Chaigneau et quelques autres) étaient censés permettre tout à la fois l’élaboration des contre-attitudes des soignants et l’examen attentif de la subjectivité en souffrance du patient (ce qui n’empêchait pas, notons-le, l’usage fréquent des électrochocs) mais l’intention y était.
Or, ce temps aux allures élaboratives est définitivement passé, définitivement.
(à suivre)


PAR : Sylphe
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le 9 novembre 2021 06:00:38 par Sylphe


C’et encore plus atroce maintenant ! manque de lits, de personnels, violences symboliques et réelles exercées sur les patient( es )
Outils de "travail" ? ( beurk ) "la remédiation cognitive", une imposture insondable, ridicule.
Cette supposée grille d’intelligibilité ne fonctionne que pour les labos et les directeurs financiers comptant leurs liasses ! exit le soin du patient. Empathie pulvérisée. La psychiatrie ? une exquise supercherie, souvent mortelle.
Je cause de l’intérieur...