Le Front national à  l'université !

mis en ligne le 22 juin 2007

Rennes

Le Conseil régional dispose, en Bretagne comme ailleurs, de sièges dans les Conseils d’administration des lycées et de la plupart des facultés ou organismes culturels de la région. La pratique bretonne consiste à répartir ces délégations au strict pro-rata des élus : c’est ainsi qu’une quarantaine d'établissements d’enseignement, de recherche ou de culture viennent d'être gratifiés d’un représentant émargeant au Front national.

S’il est traditionnel en Bretagne, ce partage du gateau a fait des vagues cette année pour deux raisons bien distinctes. La première est que la gauche plurielle, dans la foulée des accords droite-FN en Rhône-Alpes et ailleurs, y a trouvé matière à fragiliser la majorité régionale conservée d’une seule voix par la droite. La seconde est une erreur de casting de la part du Conseil régional.

Les matheux résistent

Les précédentes mandatures de délégués FN n’avaient guère soulevé de vagues, parce qu’elles concernaient des structures de petite taille (donc à faible capacité d’opposition), ou des établissements soucieux avant tout de ne pas déplaire à l’important bailleur de fonds qu’est le Conseil régional. La désignation de l’UFR de Mathématiques de l’Université de Rennes I comme point de chute du leader régional de l’extrême-droite, Maugendre, a sensiblement changé la donne.

La communauté mathématique jouit d’une solide tradition cosmopolite et se souvient de luttes «exemplaires», notamment pendant la guerre d’Algérie. Il n’est donc pas trop surprenant que la réaction à la nomination de Maugendre ait été déterminée et unanime chez les quelque 150 enseignants et chercheurs de l’UFR de Maths : il ne sera pas question d’accepter un représentant du Front national au Conseil de l’UFR ! Motion, pétition, manifestation, la mobilisation est forte malgré un calendrier peu propice en période d’examens. Soutenus par l’intersyndicale de l’Université, les matheux ont entraîné dans leur sillage d’autres UFR et des Conseils d’université plus ou moins déterminés.

Le 29 mai, une manifestation devant le Conseil régional a exigé le retrait de toutes les délégations FN. Cette manif, qui concernait tous les établissements menacés, a rassemblé quelque 600 manifestants. Il faut noter que l’appel émanait de l’intersyndicale de l’université d’une part, et du Comité de vigilance antifasciste d’autre part. L’intersyndicale a tenu à se distinguer du Comité, cartel d’organisations trop manifestement soucieux de servir de marchepied à la gauche locale. D’ailleurs, si le Conseil régional a refusé de recevoir toute délégation, le chef de file des élus socialistes a accordé une entrevue au Comité, mais pas à l’Intersyndicale, sans doute trop indépendante à son goût. Le message lu à l’issue de cet entretien, chef-d'œuvre de récupération politicienne sur le thème «aidez les élus de la gauche plurielle», risquait en effet de mal passer auprès de délégués mal contrôlés : la gauche plurielle n’a-t-elle pas accordé le même type de délégations au FN dans la région Nord entre 1992 et 1996 sous Blandin ? Ne l’accorde-t-elle pas aujourd'hui encore dans le Centre, sous Sapin ? Autant de questions déplaisantes qu’un syndicaliste de base aurait été susceptible de poser aux élus de gauche, ce dont il ne pouvait évidemment être question !

Méfiance envers les politiciens !

Le bilan provisoire et les perspectives de ce mouvement sont intéressantes. D’une part, il se confirme que les politiciens sont plutôt malvenus dans cette lutte, dès lors qu’elle mobilise effectivement à la base. D’autre part, et moins réjouissant, le risque est grand de voir la majorité des établissements courber le dos par fatalisme, réalisme financier ou tout simplement indifférence. Sur les 6 composantes de l’Université directement menacées, seuls l’UFR de Maths s’est réellement mouillée, les autres ont évité de s’exposer. Du côté des établissements non universitaires, les réactions sont maigres, même si le lycée professionnel d’Etel a clairement exprimé son refus de la délégation FN, et même si 2 000 lycéens ont manifesté à Brest (où étaient leurs profs ?).

Cela posera évidemment un problème à moyen terme. Si une mobilisation de plus grande ampleur ne se manifeste pas d’ici la rentrée, la tentation de jouer «perso» sera forte : les instances universitaires ont l’avantage sur les lycées de pouvoir légalement désassocier le Conseil régional de leurs instances. En supprimant ainsi le délégué du Conseil régional de ses statuts, l’UFR de Maths, actuel fer de lance de la lutte, peut donc, au prix (non négligeable) d’une mauvaise manière aux élus régionaux, rester fidèle à sa décision de refuser la présence du FN sans bloquer le fonctionnement de son Conseil. En revanche, cette éventualité laisserait dans la merde les établissements qui ont moins de marge de manœuvre (notamment les lycées). Mais on ne peut être solidaire que de ceux qui luttent ! Rendez-vous donc à la rentrée pour savoir si une mobilisation globale sera à même de faire reculer le Conseil Régional.

COQ'S