Drogues : c'est plus facile d'être dans l'opposition

mis en ligne le 22 mars 2005

Le 18 juin 1996 les jeunesses des Verts et du Parti socialiste appelaient à un rassemblement, avec le CIRC (Collectif d'informations et de recherches cannabiques), sur la légalisation du cannabis. Des militants de la Fédération anarchiste (Cf. [M.L. du 20 juin 1996- http://federation-anarchiste.org/ml/rubrique.php3?id_rubrique=1153]) étaient intervenus contre cette présence en distribuant entre autres un tract. Si la gauche tentait de récupérer une certaine sympathie existant dans la jeunesse autour de la dépénalisation du cannabis, nous les rappelions «aux bons souvenirs»: «Que les socialistes ne se fassent pas d'illusions. Les deux cent mille personnes enfermées durant des mois dans les geôles françaises, les millions d'usagers maintenus dans la clandestinité en fumant des produits dégueulasses ne peuvent oublier les dix ans de politique socialiste en matière de drogues...». Certains, dans l'espoir de construire une opposition plurielle, souhaitaient, sans trop de succès, nous voir ailleurs : «Vous, les anars, comme d'habitude toujours critiques». Toujours critiques, mais d'une critique lucide qui s'appuie sur une analyse du pouvoir et d'une société capitaliste et que l'histoire malheureusement confirme. Mais à cette époque, la gauche, avec un pied ferme dans l'opposition, ne pensait pas accéder un an plus tard au pouvoir.

Depuis des eaux de répression ont coulé... En février 1997, le CIRC recevait de lourdes condamnations pour l'organisation du 18 juin 1995. En avril 1997 des livres des éditions du Lézard furent saisis par la police (Fumée clandestine, Nouvelles du Front de Jean-Pierre Galland et Les très riches Heures du Cannabis de Phix). Le rassemblement de juin 1997 fut très mouvementé, et le changement de majorité n'a en rien changé la donne : arrestation de plusieurs militants CIRC pendant la préparation, interdiction du rassemblement par la préfecture de Paris. Le CIRC par naïveté et provocation (les deux états d'esprits y co-existent) s'étonnait au travers d'un communiqué de la décision du préfet, prise avec l'accord explicite de Jean-Pierre Chevènement.

De même, les propos de nos ministres socio-démocrates sont à plus d'un titre intéressants et très pédagogiques. Dans le courant du mois de septembre 1997, Mme Voynet déclare dans Charlie hebdo avoir fumé des joints et être favorable à une légalisation de certaines drogues. Mme Guigou, ministre de la Justice, dans une «envolée révolutionnaire notoire» emboîte le pas dès le lendemain : «Toutes les drogues ne sont pas identiques». Une semaine plus tard, le rouleau compresseur du réalisme socio-démocrate est passé par là. L'électron libre Voynet, après s'être fait rappeler à l'ordre, ne s'épanche plus sur le sujet. Quant à Mme Guigou, elle s'est ravisée et a déclaré officiellement : «La législation actuelle sur les stupéfiants ne sera pas modifiée.». Le débat, à peine lancé en catimini, est clos ! Cette courte histoire pourrait se raconter comme une fable de La Fontaine où l'on rigolerait des éternels revirements des gouvernements de gauche au nom du sacro-saint réalisme.

Mais le rire n'est pas de mise. Le mouvement des usagers n'est pas en très bonne santé : la politique de répression vis-à-vis du CIRC porte ses fruits, et l'ASUD (Association d'auto-support défendant une reconnaissance des usagers et s'attaquant à une politique de prévention) a par moment tendance à s'essouffler. De plus les chiffres restent accablants. La France détient le record d'Europe de porteurs du VIH avec au moins deux cent mille séropositifs. En 1995, les services de police ont interpellé soixante-neuf mille personnes (une hausse de seize pour cent) dont cinquante mille usagers simples (dont quarante et un mille pour cannabis) mais par contre, comme par hasard, aucun gros bonnet.

Comme nous le rappelions dans le tract cité en début d'article, «seule la coordination et l'auto-organisation de nos luttes peuvent nous permettre d'en maîtriser le déroulement et les finalités, que ce soit contre les lois liberticides ou dans la lutte pour la légalisation». Et ce ne sont pas les propos récents de Madelin (Libération du 17/02/97) qui nous démentiront. Une fois dans l'opposition, ce demier prône une légalisation sous prétexte que ces milliers d'arrestations entraînent des lourdeurs administratives et que des masses financières importantes échappent à l'État et aux capitalistes les plus respectueux du droit. Les propos de Madelin justifient en eux-mêmes l'insuffisance de la revendication autour de la dépénalisation. Nous ne voulons pas d'une légalisation qui rendrait la drogue à l'état d'un simple produit commercial engendrant une plus-value importante. Au contraire nous défendons, au nom des usagers que nous sommes parfois, un système coopératif, seul système pouvant allier qualité des produits et une réelle politique de prévention.