La lutte contre l’antisémitisme, un combat qui ne peut être éludé

mis en ligne le 4 juin 2015

1777JuifsNoirsArabesOn peut souvent entendre que qualifier des discours ou des pratiques d'antisémites (ou de racistes, de sexistes, etc.) n'est qu'un procédé visant à salir ou à disqualifier. Une telle approche peut être sincère, elle a cependant pour conséquence d'empêcher d'identifier l'antisémitisme ou de le minimiser. C'est aussi souvent une stratégie permettant d'éviter de faire face à l'antisémitisme ou de procéder à une remise en question. On retrouve des stratégies de défense et de déni comparables concernant toutes les formes de racisme.
Nous n'ignorons pas que des courants réactionnaires au sein des minorités nationales tentent d'assimiler toute critique de leurs projets politiques à du racisme afin de la faire taire. Nous n'ignorons pas que ces courants réactionnaires développent leur influence, y compris dans le camp progressiste. Pour autant, de tels procédés (tout comme l'insuffisance sur la question coloniale ou l'islamophobie) devraient être critiqués comme tels et non servir de prétexte pour disqualifier la lutte contre l'antisémitisme et ceux et celles qui tentent de la porter. Cela ne devrait pas conduire le mouvement progressiste à évacuer le problème des discours et des pratiques racistes, y compris en son sein.
Pour certains, il ne faudrait pas parler d'islamophobie sous prétexte que des réactionnaires religieux utilisent le même vocabulaire. Pour d'autres, il ne faudrait pas parler d'antisémitisme sous prétexte que les sionistes qualifient toute critique du sionisme d'antisémite. Pour notre part, nous pensons qu'il faut mener de front la lutte contre l'antisémitisme et la lutte contre l'islamophobie, sans minimiser l'un ou l'autre, car ce sont deux déclinaisons d'une même logique visant à définir une identité nationale majoritaire par opposition aux groupes minoritaires et à diviser les opprimés.

En période de confusion, clarifier les positions est une nécessité !
Nous vivons une période historique troublée. En ces temps, il est nécessaire d'analyser sereinement les phénomènes sociaux auxquels nous faisons face. La crise économique et sociale actuelle pousse une partie des opprimés à chercher une alternative. Dans ces circonstances, les fascistes vont chercher à apparaître comme tels. L'antisémitisme est un des outils le leur permettant, puisqu'il est la base d'un pseudo-anticapitalisme racialiste présentant les Juifs et les Juives comme pseudo-classe dominante en lieu et place de la bourgeoisie. Il est destiné à récupérer et orienter la révolte d'une partie de la population, et notamment du prolétariat, dans un sens pogromiste plutôt que révolutionnaire, en la mobilisant derrière la bourgeoisie nationale contre la « domination sioniste », le « capital apatride », la « banque », et la « finance » associés à la minorité juive par le biais des stéréotypes racistes classiques. Substituer la « révolution nationale/raciale » à la « révolution sociale » est la fonction historique de l'antisémitisme, cela en créant de la confusion au sein même du camp progressiste.
Ainsi, la permanence de courants antisémites tout au long de l'histoire au sein du mouvement ouvrier apparaît comme une évidence, tout comme la permanence de courants racistes ou coloniaux. Il ne saurait en être autrement : comme n'importe quel système de domination, comme le patriarcat par exemple, le racisme ne s'arrête pas à la porte des organisations progressistes et l'adhésion à ces organisations ne fait pas disparaître mécaniquement les effets de l'idéologie dominante. Or l'antisémitisme, au même titre que le racisme colonial et l'islamophobie, font partie de l'idéologie dominante en France, parce qu'elles sont une partie indissociable de l'idéologie nationaliste et du roman national français.

Se mentir ne fera pas disparaître le problème, au contraire !
Si une partie des militants est prête à accepter l'idée que l'antisémitisme existe, y compris dans les mouvements progressistes, ce phénomène est quasi-systématiquement qualifié de marginal. Ce faisant, on montre donc non seulement qu'on ne comprend pas l'utilité de l'antisémitisme pour le capitalisme en crise, mais on évacue aussi tout bilan sur les responsabilités au sein du mouvement progressiste dans le développement d'un antisémitisme de masse. Cette situation conduit à adopter vis-à-vis de l'antisémitisme l'attitude reprochée à juste titre à d'autres vis-à-vis de l'islamophobie : le refus de la clarification, le refus de la réflexion, le refus d'un retour critique établissant les responsabilités au sein du mouvement progressiste dans le développement d'une islamophobie de masse.
La récupération de certains textes de notre courant par les réactionnaires est symptomatique. Elle signifie qu'il n'y a pas de prise de conscience, qu'en période d'hégémonie culturelle de la réaction il faut éviter à tout prix de la laisser jouer sur la confusion idéologique.
Pour éviter de laisser prise à cette confusion, nos combats doivent être transversaux : notre anticolonialisme doit cibler en priorité l'impérialisme français, celui du pays dans lequel nous nous trouvons. La solidarité anticoloniale (avec les Palestiniens, les Kurdes, etc.) et l'opposition à d'autres impérialismes se font ainsi sur une base de classe claire et empêche toutes dérives telles que le soutien aux régimes dictatoriaux en Russie, en Syrie, ou en Iran. La lutte contre l'islamophobie doit s'articuler avec la lutte contre l'antisémitisme, comme la lutte contre l'antisémitisme doit s'articuler avec la lutte contre l'islamophobie et le colonialisme, faute de quoi on est amené à travailler au service des thèses dieudo-soralienne, des thèses sionistes, ainsi que celles du légitimisme républicain et bourgeois, du « choc des civilisations » ou du nationalisme français.
Ce type de questionnements est nécessaire. Et il doit se lire dans chacune de nos productions si l'on veut éviter que des discours issus du camp progressiste fassent le lit de la réaction et si l'on souhaite reconstruire le camp révolutionnaire sur des bases solides et irrécupérables par nos ennemis politiques.

Le combat contre l'antisémitisme est un combat de classe
Enfin, il faut réaffirmer que le combat contre l'antisémitisme et le confusionnisme, pas plus que la qualification des discours fascistes pour ce qu'ils sont, n'est pas un combat moral. C'est une nécessité de classe, qui n'a rien à voir avec « le monde virtuel » ni avec la bonne conscience, et encore moins une vision « policière » des choses.
D'abord, rappelons que la majorité des Juifs et des Juives de France fait partie du prolétariat. Ce n'est pas un hasard s'ils sont nombreux et nombreuses dans la ville populaire de Sarcelles et dans l'arrondissement le plus pauvre de Paris, le XIXe. Il est donc assez curieux d'ignorer toute cette frange du prolétariat. Cette remarque vaut également pour ceux et celles qui, comme le Parti des indigènes de la République (PIR), prétendent s'adresser aux personnes issues des anciennes colonies françaises en oubliant les Juifs et les Juives issus de familles séfarades et mizrahim.
Quiconque se bat sur le terrain de la lutte des classes peut constater à quel point le discours antisémite permet de faire disparaître la bourgeoisie aux yeux des exploités, en leur désignant une pseudo-classe dominante. Comme nous l'avons dit plus haut, c'est même sa fonction historique. À quel point il encourage au mieux la résignation, au pire la violence raciste contre les Juifs et les Juives. En effet, il est important de se rendre compte qu'on ne peut pas traiter l'antisémitisme comme d'autres formes de conspirationnisme : si la chasse aux illuminatis pousse essentiellement à l'inaction et n'a pas tellement d'impact sur le monde réel, les attaques sur les synagogues et les attentats antisémites sont une réalité difficile à ignorer.
Quiconque est investi dans la lutte des classes peut constater que l'antisémitisme est aujourd'hui, comme il l'a été historiquement au Maghreb lors de la période coloniale, utilisé par une partie des classes dominantes pour diriger la colère des autres racisés contre la minorité nationale juive tout en se présentant frauduleusement comme son protecteur. De la même manière qu'Édouard Drumont a été utilisé au Maghreb par le système colonial pour dévier la colère des colonisés dans un sens pogromiste, Dieudonné et Soral sont utilisés depuis la révolte de 2005 dans les quartiers populaires pour jouer le même rôle.
Le combat contre l'antisémitisme est une nécessité révolutionnaire. Refuser de le mener, refuser tout ce qu'il implique d'autocritique et de clarifications, c'est ouvrir la voie au fascisme, y compris parmi ceux et celles qui semblent proches de nos idées et c'est favoriser le développement des idées réactionnaires. Au sein de la minorité nationale juive, c'est également favoriser le développement politique du légitimisme (c'est-à-dire du soutien inconditionnel à l'ordre républicain bourgeois considéré comme seul défenseur des Juifs et des Juives) ou du sionisme, qui peuvent ainsi se présenter comme seules alternatives à l'antisémitisme.

Juifs et juives révolutionnaires




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Socialisme Libertaire

le 28 octobre 2015
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