Délit de blasphème pour un taggeur à La Havane

mis en ligne le 11 février 2015
1765ElSextoDanilo Maldonado, l’artiste taggeur connu sous le nom d’El Sexto (le Sixième) est en prison à La Havane depuis six semaines. Il a été arrêté alors qu’il voyageait dans un taxi dont le coffre contenait deux porcs vivants. Les animaux étaient recouverts de peinture verte et chacun d’eux avait un nom écrit sur le flanc. On pouvait lire d’un côté Fidel et de l’autre Raúl.
L’intention de l’artiste était de les lâcher dans le parc central (au cœur de La Havane) pour renouer avec une tradition rurale dans laquelle le défi est d’attraper les porcs. La performance a été interrompue par la police, elle était intitulée Rébellion dans la grange, à la mémoire de George Orwell.
La Lada bleu clair qui le transportait a été interceptée par trois patrouilles de la Police nationale révolutionnaire (PNR). Les officiers policiers ont retiré sa carte d’identité à Danilo et au conducteur du véhicule et les ont emmenés au commissariat des rues Infanta et Manglar. Deux jours plus tard, ils ont déplacé l’artiste à l’unité de police de Zapata et C, où une instructrice lui a dit qu’il serait poursuivi. Il est resté sept jours dans les cachots de l’unité jusqu’à ce qu’il soit transféré au centre de police Vivac de Calabazar, où il a passé six jours.
Il s’avère que ce centre de Vivac fut la destination de dizaines de détenus accusés d’avoir tenté de participer à la performance annoncée par l’artiste plastique Tania Bruguera sur la place de la Révolution, le 30 décembre dernier. Cette performance fut interprétée par les autorités comme une provocation contre-révolutionnaire. Certains des détenus, qui étaient informés de la présence d’El Sexto en ces lieux, crièrent, entre autres slogans : « Libérez El Sexto » et « El Sexto reviendra ».
De la prison de Valle Grande, où il est aujourd’hui détenu, Danilo nous a envoyé quelques anecdotes de prison et quelques dessins.

Daniel Pinós
Groupe Salvador-Segui de la Fédération anarchiste


« Le réservoir »
Quand je suis arrivé à Valle Grande, ils ont pris mon sang pour des échantillons de laboratoire, ils m’ont frappé et ils m’ont rasé. Ils m’ont aussi aussi photographié. Durant les jours que j’ai passé à Vivac, ils ont diagnostiqué une pneumonie, pour cette raison j’avais sur moi certains antibiotiques, mais ils me les ont enlevés jusqu’à aujourd’hui ils ne me les ont pas rendu, ils ne m’ont pas non plus fait ausculter par un médecin pour savoir si j’étais dans le même état que lors de mon arrivé en prison, ou en meilleur état, ou dans un pire état. Pour couronner le tout, je suis entouré de fumeurs qui se soucient peu du fait que je sois malade et asthmatique.
Je suis en compagnie de quatre détenus. Dans ce lieu qu’ils appellent « le réservoir », il y a des gens de toutes sortes. J’ai rencontré quatre dissidents de Alturas de la Lisa. Yorlay Pérez, Yusel Pérez, Santiago Pérez et Hanoy.


Fidelito
Un jour, est arrivé au « réservoir » un garçon qui prétendait m’avoir connu au Parc central et qui connaissait mon travail pictural dans les rues de La Havane. Ce jeune homme de petite taille, au teint basané, m’a surpris quand il a enlevé son chandail en dévoilant sur son dos un tatouage avec le visage de Fidel Castro. Je lui ai expliqué que j’étais un opposant au régime de Castro et que ce monsieur qu’il portait gravé sur sa peau était responsable de mon emprisonnement.
Il me répondit qu’il n’avait pas de famille et qu’il était un « fils de la patrie », raison pour laquelle Fidel lui avait donné une maison et que cela n’arrivait pas dans d’autres régions du monde. Je lui ai dit que c’était vrai, mais que s’il était né dans un autre pays, personne ne lui aurait donné une maison, mais peut-être qu’il aurait pu la trouver lui-même et qu’il ne devait vraiment rien à Fidel. Je lui ai parlé de la situation d’Amaury Pacheco, un artiste, et de sa famille de six enfants que l’on a harcelé avant de l’expulser d’une maison abandonnée dans le quartier d’Alamar. Ils sont allés jusqu’à lui refuser l’accès à l’eau et à l’électricité.
Ensuite par l’intermédiaire d’un autre garçon, qui l’a connu dans le quartier du Vedado, j’ai su qu’on disait qu’il travaillait pour la sûreté de l’État et qu’il portait toujours un pistolet sous sa chemise. Son entourage l’appelait El ronco, mais moi je l’appelle Fidelito.
Ce fils de la patrie était en prison pour falsification de documents, chose qu’il avait faite pour quitter le pays. En une seule nuit, il a essayé de se pendre deux fois.


Yusel, l’opposant
Dans une des constantes inspections qui sont réalisées ici, un major et un lieutenant ont estimé que l’un des détenus avait des ongles trop longs et qu’il devait les couper. Il a expliqué qu’il n’avait pas de coupe-ongles et, encore moins, de ciseaux. Le major a retiré un poignard de sa ceinture et l’a menacé de lui couper les ongles par la force. Le garçon a résisté, puis le major a dit qu’il devait les manger.
Quand ils sont passés devant Yusel, l’opposant, ils ont constaté qu’il portait à un de ses poignets un bracelet en plastique blanc avec le mot « Changement ». Comme il n’obéissait pas à l’ordre de l’enlever, ils l’ont arraché par la force. Ensuite Yusel s’est écrié : « À bas les Castro », « À bas la dictature ». Le lieutenant l’a poussé contre un lit pour le frapper, mais le reste des prisonniers s’en est mêlé et ils l’ont empêché de corriger Yusel. Les esprits se sont échauffés, mais ça n’a pas été au-delà, car le major a commencé à crier qu’ils n’allaient pas le frapper. C’est uniquement à ce moment que les prisonniers se sont détendus. Yusel a passé quatre jours dans une cellule de punition, mais ils ne l’ont pas battu.


« El puro » qui urine sur lui
« El puro » est arrivé sans faire de bruit. Fort, grand, il doit avoir entre 60 et 70 ans, et il ne dort jamais. Il dit qu’il a été arrêté parce qu’il avait menacé avec un tournevis des jeunes qui lançait une balle contre le mur de sa maison. Personne ne l’approchait parce qu’il ne se lavait jamais. Un jour, il a uriné au milieu du dortoir, ce qui a été compris comme une forme de « chantage » par d’autres prisonniers qui devaient nettoyer sa saleté. Quand ils exigèrent qu’il sèche la flaque, il dit qu’il le ferait avec ses vêtements, mais ils refusèrent car ça aurait été subir plus d’odeurs encore. Nous avons compris qu’il devenait fou quand nous ont été lu à voix haute les textes comportant les crimes de chacun de nous. C’est là où nous avons appris les raisons de son incarcération : abus sexuel sur mineurs.

Fragment d’une lettre Danilo depuis la prison de Valle Grande

À mes amis de Facebook et aux lecteurs de mon blog

Je voudrai vous dire que je regrette de ne pouvoir être informé de vos voyages et tout événement intéressant sur les réseaux.
Je tiens également à remercier tous ceux qui se solidarisent avec ma cause et leur avouer qu’aucune de mes folies aurait été possible si je ne savais pas que je n’étais pas seul et que je compte sur le soutien de beaucoup d’entre vous.
Il est possible de remplir les cœurs d’espoir.
Jamais le mal ne vaincra contre le bien.
Jamais les esprits rétrogrades ne vaincront contre les esprits libres.
Jamais la violence ne vaincra contre l’art et la raison.
La mort ne vaincra jamais contre la vie et l’amour.
L’épreuve que je suis en train de subir est un calvaire. À l’origine je ne voulais faire qu’une bonne action et ma détention est le fruit d’une dictature féroce qu’il est nécessaire de combattre avec l’esprit et la ruse.
Croyez-moi, parfois je ris seul dans ce lieu sombre de 5,60 m par 32,80 m avec 37 couchettes triples, soit entre 118 et 190 personnes, sans compter ceux qui dorment sur le sol.
Je ris, même si les latrines sont juxtaposées les unes contre les autres, sans aucune intimité.
Je vis heureux parce que je vis sans peur et, même s’ils harcèlent et accusent ma famille, ils ne parviendront jamais à entamer ma créativité.
Cette fois-ci, je pense les avoir ridiculisé comme personne ne l’a jamais fait auparavant.
Même s’ils empêchèrent les porcs de parvenir au Parc central, tout ceux qui ont de l’imagination ont pu les voir courir avec leurs noms inscrits sur le côté et les gens derrière eux, comme une véritable « Rébellion dans la grange ».
Ha, ha, ha. Bises à tous et j’espère pouvoir vous lire.


Danilo Maldonado
El Sexto