De la morale dans la liberté

mis en ligne le 3 juillet 2014
Je n’ignore point qu’à première lecture ma théorie sur l’amour va paraître à beaucoup de personnes tout à fait immorale. Certaines d’entre elles y verront la consécration de la débauche, la légitimité du libertinage, l’excuse de tous les dérèglements.
Mais si l’on veut bien raisonner quelque peu, et approfondir la question, on sera d’accord avec moi pour déclarer que l’amour libre, loin d’être une source d’immoralité, deviendra le régulateur naturel de la moralité.
Tout d’abord, qu’est-ce que l’immoralité ? Pour la définir, il convient de se débarrasser encore une fois de l’atavisme, qui nous fait considérer comme loi naturelle tout ce qui n’est que conventions sociales.
Pour moi l’immoralité, c’est tout ce qui est contraire à la nature ; c’est tout ce qui contraint l’individu à sortir des règles naturelles de la vie pour l’assujettir à des règles purement conventionnelles ; c’est tout ce qui entrave l’épanouissement de l’être humain au nom de considérations sans valeur pour qui veut bien les approfondir.
L’immoralité, c’est la prostitution – légale ou non –, c’est le célibat forcé de la femme ; c’est la vente du corps féminin ; c’est la soumission de l’épouse ; c’est le mensonge du mari envers celle qu’il a cessé d’aimer. Mais l’amour libre ne peut être de l’immoralité puisqu’il est une loi naturelle ; le désir sexuel ne peut être une immoralité puisqu’il est un naturel besoin de notre vie physique.
Si le besoin sexuel est de l’immoralité, il n’y a plus en ce cas qu’à taxer d’immoralité la faim, le sommeil, en un mot tous les phénomènes physiologiques qui régissent le corps humain.
Si l’on considère nos mœurs actuelles, quelle source d’immoralité n’y découvre-t-on pas ? Mariage sans affection où l’homme achète une dot et la femme une situation ; adultères de l’épouse et du mari, viols de toutes sortes, ventes charnelles, mensonges de façade, mensonges de sentiments, mensonges de la chair et du cerveau, contrats divers livrant l’ignorante au vieux débauché, et la pauvresse à l’exploiteur qui spécule sur sa faim.
Que l’amour libre devienne la règle, il ne pourrait certes y avoir plus d’immoralité qu’il n’en existe. En admettant que la situation ne change point quant au fond, elle aurait au moins le mérite de la franchise quant à la forme.
Mais je suis convaincue, moi, que l’amour libre sera l’affranchissement moral des individus, parce qu’il libérera les sexes des contraintes et des servitudes physiques.
Pourquoi croire que l’individu libre serait immoral ? Il n’y a pas d’immoralité chez les animaux libres. Ceux-ci ne connaissent aucun des désordres physiques qui sont l’apanage de l’homme précisément parce qu’ils ne s’assujettissent à aucune autre loi que la loi naturelle. Ce qui crée l’immoralité, c’est le mensonge forcé de l’homme envers les autres et envers lui-même ; et l’amour libre, en libérant l’homme du mensonge, mettra fin précisément aux désordres, aux dérèglements et à la débauche.
Quand l’homme sera complètement libre, quand il sera régénéré par une éducation meilleure, il trouvera en lui-même l’équilibre naturel de ses facultés physiques et morales, et deviendra un être normal et sain.
D’ailleurs, nous avons en nous un sentiment d’instinct qui veille sur nous : le sentiment de la conservation. Quand nous n’avons plus faim, nous ne mangeons plus parce que nous savons quels inconvénients il en pourrait résulter ; quand la marche nous a lassés, nous avons le bon sens de nous reposer ; quand la fatigue brûle nos paupières, nous savons bien que nous devons dormir. De même nous trouverons le régulateur naturel à notre vie sexuelle en la dépense sexuelle elle-même.
L’animal obéit à ce sentiment de conservation, pourquoi l’homme libre lui serait-il inférieur ? Je ne voudrais pas faire à l’espèce humaine l’injure de m’attacher à cette dernière hypothèse.
Non, le développement intégral de l’être libre ne saurait être de l’immoralité. Ce qui est vraiment immoral, c’est de fausser les consciences en faussant les vérités fondamentales de la nature ; c’est d’empêcher l’individu de vivre sainement et fortement au nom de dogmes, de lois, de conventions contraires à l’harmonie et à la beauté de la vie.

Madeleine Vernet