Contre l’extrême droite : assumer nos idées anarchistes

mis en ligne le 11 juin 2014
Les élections européennes ont donné ce qui était annoncé : grande abstention et poussée du Front national. Et, au niveau européen, sensiblement les mêmes phénomènes ont été observés, avec bien sûr des différences locales que nous n’allons pas énumérer ici, ce n’est pas notre propos.
Ainsi, donc, le FN a fait 25 %. Ah ? Déjà, gardons la tête froide, en tenant compte de l’abstention, des votes blancs-nuls et des non-inscrits, on arrive plutôt à un total de 9 % de la population en âge de voter.
Alors, ne rien faire ? Au contraire ! Ces 9 % sont l’arbre qui cache la forêt de la montée des fascistes et réactionnaires partout en Europe. Comme dit le slogan, le problème n’est pas tant que le FN arrive au pouvoir mais que ses idées y soient déjà. On ne va pas se mentir, c’est la merde. Mais cela ne tombe pas du ciel. Le FN et les groupuscules ouvertement fascistes ou néonazis sont des conséquences de nos défaites. Les forces libérales et conservatrices sont submergées par des vagues réactionnaires. Tout comme le fascisme historique, c’est sur les ruines du mouvement ouvrier que ce parti progresse aujourd’hui. C’est devant l’absence de perspectives politiques qu’il monte le mieux. Il y a, face à nous, une hégémonie culturelle de la bourgeoisie et notamment de sa frange la plus réactionnaire. La principale difficulté à laquelle nous faisons face, c’est l’offensive réactionnaire.
Alors, que faire, vous demandez-vous ? Sans prétendre donner une réponse unique dans la lutte antifasciste et pour l’anarchie, nous pouvons quand même donner quelques pistes de réflexion.
Tout d’abord, nous devons assumer nos idées et nous unir en priorité aux autres anarchistes. Il est dangereux et contre-productif d’aller nous invisibiliser (au mieux) ou nous ramollir et servir la soupe aux sociaux-démocrates (au pire) dans des collectifs « larges et unitaires ». Ne perdons pas notre temps et notre énergie dans des réunions interminables qui donneront des textes insipides. Ne servons pas de petites mains à ceux qui n’ont comme agenda politique que leur agenda électoral. Ne servons pas de caution « unitaire » à des gens qui nous méprisent et à qui nous le rendons bien. Nos critiques sont toujours escamotées et les seules idées développées sont celles d’un antifascisme moral.
Car là est tout le fond du problème. L’antifascisme moral est la plaie de l’antifascisme. Combien de manifestations, affiches, tracts et autres meetings contre « la bête immonde », « la haine », « l’intolérance » ou « les heures les plus sombres de notre histoire » ? C’est le degré zéro de l’analyse politique. Mais si on regarde ce qu’était et ce qu’est toujours le fascisme et ses avatars, nous voyons que ce n’est, ni plus ni moins, qu’une réaction d’une frange de la bourgeoisie contre le prolétariat. Donc, notre antifascisme est fondé sur la lutte des classes. Nous savons que l’État et le capital sont le lit du fascisme. Comment faire adopter une position pareille à un collectif où on trouve le PS, le Front de gauche ou un de leurs satellites ? De toute façon, qu’ils soient sociaux-démocrates, réformistes ou léninistes, ils veulent diriger les choses, nous voulons qu’elles soient auto-organisées. Nécessairement, nous sommes opposés.
Avec notre analyse, la conclusion logique (et nos aïeux l’avaient bien compris) est que la seule façon d’éradiquer une bonne fois pour toutes le fascisme est d’éradiquer toutes les oppressions et dominations.
Il ne faut laisser aussi aucun espace aux fascismes dans nos milieux. S’il est clair que personne, parmi les progressistes, ne va défendre l’idée de la priorité nationale (par exemple), il n’est pas rare de voir des gens défendre l’idée que le problème du capitalisme, c’est sa financiarisation transnationale, mais que le capitalisme industriel et bien de chez nous, finalement, c’est pas si grave. Il arrive aussi régulièrement, que, sous couvert de lutte antireligieuse, certains tombent dans le piège tendu par les fascistes de l’islamophobie. Il arrive aussi, régulièrement, que d’autres, avec la volonté légitime de vouloir couper l’herbe sous le pied d’un Dieudonné ou Soral, se sentent l’obligation de rappeler toutes les cinq minutes qu’ils sont pro-Palestiniens, antisionistes, etc. Ce ne sont que quelques exemples de victoires idéologiques du fascisme. Cela ne veut pas dire que ces camarades sont devenus des fascistes, mais ça veut dire que, finalement, nos protections ne sont pas si solides. Il faut faire attention à la confusion.
Le FN tente de se faire social, pour faire oublier que c’est un parti de la bourgeoisie, dirigé par de grands bourgeois, qui défendent leurs intérêts de classe. Les meilleurs moments pour les démasquer sont les périodes de mouvements sociaux. Lors du mouvement des retraites, par exemple, Marine le Pen était inaudible, les identitaires assumaient le fait de ne pas avoir d’opinion sur les retraites et jamais on n’entendra un Soral parler d’augmenter les salaires.
En guise de conclusion, pour résumer, il nous faut assumer nos idées anarchistes, nous unir et participer de toutes nos forces aux luttes sociales. Il nous faut une propagande positive, porteuse d’espoir dans le changement social. Il nous faut être clair quant à la volonté de ne pas nous perdre dans des collectifs « larges et unitaires », développer nos propres idées et analyses et pourquoi pas relire Fabbri, qui nous mettaient déjà en garde contre ce type d’alliances dans les années 1920, dans « La Contre-Révolution préventive » (aux éditions du Monde libertaire, disponible à Publico dans le recueil La Lutte humaine).

Bali
Groupe Regard noir de la Fédération Anarchiste



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Degmi

le 12 juin 2014
J'ai bien du mal à voir quelles solutions vous proposer pour lutter contre le FN. Vous critiquez les incantations du genre "la bête immonde" et je ne peux qu'être d'accord avec vous, mais vous êtes tout aussi incantatoire quand vous dites que le FN est le parti de la bourgeoisie. Les capitalistes veulent ouvrir les frontières, c'est un fait. Les ouvriers votent FN, c'est un fait. Votre discours me semble essentiellement marxiste et vous faites comme si le FN ne pouvait être critiqué qu'à travers le prisme de la lutte des classes. Mais le FN est avant tout l'ennemi de la liberté. Vous voudriez que Soral demande une augmentation des salaire: Doit-on en déduire que les anarchistes devraient demander une augmentation des salaires? N'est-ce pas une façon d'accepter le système du salariat et l'exploitation qui en résulte?

Voilà pour les quelques remarques que je vous laisse un peu en vrac. Peut-être que des explications plus concrètes et moins incantatoires me convaincront mieux! Par exemple, vous pourriez développer ce qui selon vous est une critique légitime de la religion et ce qui est de l'islamophobie. Moi, je suis islamophobe comme je suis christianophobe et cela ne m'empêche pas de refuser le racisme, sans aucune ambiguïté.

Guillaume Salvador-Segui

le 13 juin 2014
Degmi écrit : "Doit-on en déduire que les anarchistes devraient demander une augmentation des salaires? N'est-ce pas une façon d'accepter le système du salariat et l'exploitation qui en résulte?"

Oui, les anarchistes réclament des augmentations de salaire. Et il ne s'agit pas de marxisme, juste de pragmatisme et de réalisme. Si, dans ta boîte, demain, tes collègues se mettent en grève pour voir leur salaire augmenter, tu leur diras quoi ? "Comptez pas sur moi pour vous aider, les gars, le salariat, c'est le diable" ?
L'anarchisme se conçoit à travers deux échelles temporelles qui n'ont rien d'antinomique : une lutte immédiate, forcément réformiste, pour obtenir ou défendre des acquis sociaux (rendre un peu plus vivant le quotidien du prolétariat) et une lutte révolutionnaire qui s'enracine dans la lutte réformiste en profitant des dynamiques combatives pour proposer d'aller plus loin et ouvrir des espaces de débat sur la nécessité d'un bouleversement radical pour la construction d'une société tout à fait différente.
Se cantonner dans le réformisme, c'est reculer pour mieux sauter. Se cantonner dans des postures révolutionnaires, c'est justifier l'immobilisme politique et faire peu de cas des réalités souvent difficiles du quotidien des dominés.
L'anarchisme n'aura de l'avenir que s'il sait jouer habilement de ce rapport entre les luttes et les temporalités en dépassant le clivage réforme/révolution qui n'a que trop servi à nous marginaliser sur le terrain des luttes sociales. Or c'est sur ce terrain-là que progressent les idées fascistes et que germe les graines du Front national.

Degmi

le 13 juin 2014
@Guillaume

Si nous sommes marginalisés sur le terrain des luttes sociales, c'est d'abord parce qu'il y a un monde fou qui s'en occupe sans aucun succès et que nous n'avons rien de plus à apporter... Notre originalité, c'est notre capacité à expliquer que le combat politicien visant au progrès social se fonde sur l'idée que l’État viendra à notre secours. Cette idée est une illusion parce que l’État est le bras armé de tous les fascismes. Nous nous battons donc pour la destruction de l’État. Sans l’État, pas de capitalisme, pas d'exploitation.

Dans votre message et dans l'article, je ne vois jamais rien sur cet ennemi absolu qu'est l’État. Je m'en étonne à chaque fois que je viens sur ce site. Toujours le combat classiste, jamais rien sur la liberté. Parfois même, il y en a qui en appelle à l'intervention de l’État pour détruire une liberté individuelle (par exemple, plusieurs articles sur la prostitution).

electric

le 13 juin 2014
Les anarchistes sont invisibles, cantonés entre eux, bien occupés à reluir la mystiques d' une époque glorieuse passée et révolue tellement les rapports de forces et les composantes sociales se sont transformées dans la forme. J' ai été abonné au monde libertaire quelques années et je n' ai jamais pu le difuser autour de moi à des gens qui se trouve à des années lumières du folklore des drapaux noirs, des étoiles en veut tu en voila, des imprécations et des slogans tout fait... je me souvient d' une illustration concernant la date anniversaire de le création de radio libertaire: un keupon tête de mort qui boit une 8,6 qui fume un spliff, j' veux dire moi j' m' en fout, mais je fait comment pour expliquer à des interlocuteurs qui n' écoute pas forcément the exploited, qui consomme pas de prods autre que le muscadet que les pistes d' une transformation sociale par la réflexion et la lutte se trouve peut être à l' intérieur d' un journal qui ressemble plus à un délire d' ado en crise? La forme me semble importante pour la crédibilité et la compréhension des idées libertaires, oublions un peu le folklore, les éternels A cerclés dans tout les coins pour réelement approfondir avec le commun des mortels ce qu' est d' abord l' anarchisme c' est à dire une doctrine sociale qui puisse être entendue par tous et non une défoulade adolescente qui se complait dans l' antagonisme primaire... après on peut continuer à tous péter dans les rues en manifs, ça fait du beurre à bfm, ça décridibilise encore plus les idées pour peu qu' ils en reste à voir certains comportement de "camarades" plus intéréssés par leur look "que moi j' suis rebel tu vois tout ça..." Ba.. c' était pour gueuler un peu quoi, j' m' en vais lire du bakounine tiens...

douille

le 13 juin 2014
@electric;; tellement vrai...

Mak

le 14 juin 2014
Quand on voit qu'à la manifestation d'hommage à Clément Méric un des slogans a été "Paris, Gaza : intifada !", il est dur de ne pas faire un rapprochement avec le slogan des fachos du GUD "A Paris comme à Gaza : Intifada !". Effectivement, il est plus que temps de réaffirmer des valeurs anarchistes ...

Le cercle noir

le 15 juin 2014
Du moment que vous ne hurlez pas avec les néolibéraux de l'UMPS qui vont utiliser des gamins de 15 ans dans la rue au deuxième tour en 2017 en faisant croire que les chambres à gaz vont arriver...
Vôtre rôle d'anarchiste, n'est que d'organiser de l'autogestion concrète: des lieux, de la production de bouffe et surtout d'énergie. Le reste, laissez tomber, Marine Le Pen, qu'on le veuille ou non, représente désormais les intérêts des plus modestes de ce pays, qui non, ne sont pas des néonazis avides de sang de juifs (et d'ailleurs mieux vaut avoir comme dommages collatéraux quelques centaines de nazillons à gérer, que les destructions provoquées par la social-démocratie dans la société)...

Bali - Regard Noir

le 24 juin 2014
Il faut arrêter de se mentir : le FN représente les intérêts de la bourgeoisie, c'est pas pour ça qu'aucun ouvriers ne va voter pour lui. Pour autant l'immense majorité des ouvriers s'abstient, pas vote FN.

Quant au ML, lis celui-là et montre moi les points d'ados attardés.

Pour terminer sur l'islamophobie, aujourd'hui le mot islamophobe a le même sens pour les musulmans que le mot antisémite. Il n'a donc aucun rapport avec la critique des religions, attention à ne pas tomber dans le piège des fafs.