Mairies FN : stop ou encore ?

mis en ligne le 10 avril 2014
1738VallsLePenÀ l’issue des élections municipales des 23 et 30 mars 2014, on peut affirmer que le paysage politique est chamboulé. Une abstention record, une gauche alternative au PS désunie et affaiblie, un parti de gouvernement battu à plate couture, une droite qui se refait une santé jusqu’à la prochaine fois… et, surtout, un courant post-fasciste qui progresse nettement.
Outre les identitaires de la Ligue du Sud de l’ex-mégretiste Bompard qui remportent trois mairies dans le Vaucluse 1, le Front national va gérer dix villes dont Béziers ou le VIIe arrondissement de Marseille. Les résultats obtenus vont aussi lui donner plus d’un millier d’élus qui vont siéger dans les conseils municipaux. C’est évidemment une situation inédite. La précédente poussée de fièvre pour ce parti, dans les années 1990, ne lui avait donné « que » quatre villes (Saint-Gilles, Toulon, Vitrolles, Marignane) ; toutes les gestions avaient été calamiteuses, certaines s’écourtant (Saint-Gilles) ou finissant au tribunal pour prises illégales d’intérêt (les époux Mégret). Comment cette situation s’est-elle installée et comment influer sur elle ?

Discours simplistes et manipulations
Pour les analyses, elles furent déjà répétées par les grands journaux. Sans nous étendre, donc, rappelons que le malaise social s’exprime sur fond de chômage de masse croissant : celui des plus de cinquante ans explose, celui des jeunes s’allonge dans le temps. Il y a entre cinq et neuf millions de personnes pauvres. Selon la dernière étude connue, en 2011, 146 000 ménages ont été assignés en justice pour impayés de loyer ou défaut d’assurance. Et les mal-logés sont nombreux. Les organismes publics ou associatifs qui déploient encore des filets de secours sont débordés. Une crise morale s’installe à grande échelle. On reproche à d’autres victimes de la crise du capitalisme ce que l’on n’a plus ou pas : du travail, des conditions de vie décente, un avenir. Le patronat fait pression sur les protections sociales, les syndicats et le mouvement social n’ont plus les moyens de bien résister. Les explications simplistes de l’extrême droite mordent et les manipulations vont bon train.
Politiquement, le FN occupe le terrain en glanant à gauche le social et à droite le conservatisme en se réclamant de tous les déclassés français. Bref, il a un discours qui louvoie. Il entretient une attitude faussement « rebelle » contre « l’establishment » bourgeois, les institutions nationales et européennes, et ceux qui en bénéficient, en avançant une image trompeuse de rupture politique, économique, du local à l’échelon européen. Et tant pis si l’image d’Épinal d’une France française, à l’abri derrière ses frontières, est un mensonge, car elle n’a jamais existé.

Partis déclassés et atonie sociale
Dans le même temps, les plongées en eaux profondes des crises économiques et politiques sont de plus en plus fréquentes. De récents sondages et l’abstention expriment à quel point tous les partis politiques sont déclassés dans l’opinion publique. Les scandales de corruption, d’écoutes téléphoniques, de fraudes électorales, de cumuls des fonctions politiques… ne font qu’alimenter la machine électorale frontiste.
En face, nous savons que les ripostes sociales tendent à s’affaiblir, à la fois par manque de crédit aux syndicats, par manque de solidarités sociales et de classes, par peur, et aussi par manque de débouchés politiques. Les épiphénomènes NPA et Front de gauche ne semblent pas tenir dans la durée.
Une certaine influence d’idées conservatrices parvient au cœur même de la gauche politique ou intellectuelle. Elle est en perte totale de repères, de projet, tant du point de vue politique que sociétaire, et donc en panne sèche de stratégies. D’ailleurs, l’abstention massive des dernières élections a surtout sanctionné des partis à gauche, qu’ils soient « à gauche de la gauche » ou dans le marécage du PS. Les succès actuels de l’extrême droite doivent aussi beaucoup au contexte d’un Hollande incapable d’apporter des lendemains qui chantent, mais aussi à une contre-révolution réactionnaire dont le socle fut à la fois les protestations de rue contre la loi sur le mariage pour tous et toutes et le succès désolant de pseudo-comiques développant des sentiments antisémites et des théories complotistes, toujours liées à des sphères politiques réactionnaires 2.
Les réponses apportées jusque-là contre le FN ont toutes montré inefficacité et échec, à terme. Globalement, ce qui apparaît, c’est que les barrages moraux, fondés sur des connaissances historiques, ne nous sont pas d’un grand recours : la mémoire des drames du fascisme s’estompe, se banalise et même se nie ! L’antisémitisme et le racisme, l’homophobie ou l’antiféminisme, ont retrouvé des partisans. Les jeunes générations sont tentées d’essayer, par les urnes, ce qui a échoué avec les choix politiques de leurs aînés.

Des modes libertaires d’intervention
Ces terribles et partiels constats nous renvoient encore une fois le lancinant : que faire ? Nous avons le choix entre la fuite, teintée d’un réalisme sombre, sans espoir, qui consiste souvent à rester isolé, ne pas – ou ne plus – s’impliquer dans la vie sociale ou politique (advienne que pourra) et faire comme si rien n’avait changé : le monde change, mais moi je ne change pas. Réconfortant, mais peu utile dans la réalité quotidienne… Une autre solution consisterait à se repositionner et à contribuer à prendre place dans la lutte sociale et politique contre les ravages sociaux, humains et écologiques du capitalisme qui trouve dans les populismes en Europe ou en Turquie des compléments politiques qui ajoutent une dimension supplémentaire aux crises systémiques. Deux types d’intervention s’ouvrent alors à nous. L’un, c’est le débat d’idées. Une société française à qui on martèle depuis trente ans que l’émancipation sociale, c’est has been, et que les immigrés sont fautifs des malheurs des travailleurs « français », et depuis quinze ans qu’il faut « liquider l’héritage de Mai 68 », devient partiellement autiste. En même temps que nous subissions le rouleau compresseur des crises capitalistes, une réelle contre-révolution était à l’œuvre, de façon désordonnée, mais qui s’exprime fortement aujourd’hui. C’est une lutte à ne pas délaisser car la bataille des idées influe aussi sur les pratiques sociales et les objectifs d’émancipation. Ou leur absence.
Autre intervention nécessaire : celle sur le terrain. Nous bénéficions déjà d’un certain recul sur les pratiques des élus municipaux frontistes des années 1990. Même si le FN 2014 a appris de ses erreurs, nous savons déjà que la première promesse des frontistes, c’est de faire baisser les impôts. Ils vont donc justifier les liquidations des associations culturelles et sociales par ce biais. De la même façon, ils vont sans doute mener une bataille contre les personnels des mairies et leurs syndicats. Aujourd’hui, il semble que le FN fait profil bas et ne souhaite pas, a priori, « idéologiser » ses gestions municipales. En clair, il ne fera pas de politique, mais de la gestion !
Bien entendu, sa gestion sera politique ; mais elle devra paraître neutre. Ainsi Bompard à Orange est-il perçu comme un bon petit père de famille qui prend soin des sous de ses administrés, pas comme un identitaire. Mais il faut, là aussi, apprendre du passé. Il faut durer dans l’opposition à la mise en œuvre des idées post-fascistes, et surtout décrypter les buts poursuivis, les groupes sociaux touchés. Le mouvement social n’a plus les capacités des batailles frontales dures qui eurent lieu dans les années 1990 à Toulon, Vitrolles.
Donc, nous avons tout intérêt à nouer des relations avec des syndicats, des associations locales, des personnes dans ces communes, afin de comprendre les enjeux et les finalités. Il y a là un travail de contacts, de réseaux (syndicaux), d’accompagnement à faire prioritairement dans des communes où le lien associatif est souvent très faible ou à renouveler. Nos journaux ou nos radios peuvent s’ouvrir pour faire connaître les réalités et les résistances à l’œuvre. Et nous pouvons décliner nos idées forces et nos propositions pratiques. Il faut rompre avec les logiques institutionnelles qui dépolitisent et rendent dépendants du pouvoir politique (subventions, délégations aux partis politiques…), les représentations politiques toutes en faillite, et donner de la place et du temps à la recherche de nouvelles formes de résistances populaires 3 autour ou dans ces communes. Nous savons créer et animer des espaces collectifs autogérés, aux pratiques horizontales et sans subventions, en toute autonomie ; nous savons fonctionner en réseau ou lien fédératif ; nous savons comment mettre en œuvre des réunions publiques, des événements contre-culturels, autant de noyaux possibles de résistance sociale et politique. Nos modes d’action et notre philosophie peuvent trouver des débouchés. L’adversité peut parfois générer des réactions surprenantes…

Ne pas rester sur la défensive
La Fédération anarchiste ne doit pas rester sur la défensive. Nous sommes nous aussi impactés par la crise du politique, la perte des repères, le refus de changer le monde, la fascination techno-consumériste, le cynisme et le désengagement du « tous pourris ». Les litanies du libéralisme comme fin de l’histoire, de la fin des idéologies, de l’individualisme ultralibéral… agissent à bien des niveaux et justifieraient de tourner le dos à l’action sociale, syndicale… ou anarchiste.
Si nous voulons prendre pied dans la lutte de solidarité avec ceux et celles qui vont devoir supporter le FN au quotidien, il va nous falloir faire preuve de disponibilité ; que nous acceptions de nous décloisonner, de sortir d’un isolement organisationnel et d’un discours trop souvent rodés, sans remises en question. Nos outils de communication, notre culture politique spécifique et notre pratique de terrain peuvent être proposés et trouver un regain d’écoute ; nos groupes, du travail de terrain politique. Nous pouvons valoriser l’importance d’établir une contre-société à l’échelle de la commune, à partir de collectifs solidaires, groupes contre-culturels, critiques, qui pourront apporter des réponses libertaires plausibles à partir d’alternatives autogérées, anticapitalistes, égalitaires et… antifascistes. Dans cet objectif, le réseau des lecteurs du Monde libertaire et des auditeurs de Radio libertaire doit nous aider à prendre pied dans ces communes à gestion frontiste. Tous ensemble, tous ensemble…






1. Orange, Bollène et Camaret-sur-Aigues.
2. Lire à ce sujet Le Monde libertaire hors série n° 54, « Le silence des pantoufles », toujours en kiosques.
3. Par opposition aux professionnels de la politique et de la représentation.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Debunker

le 10 avril 2014
Nice critical article regarding the situation in France...

It makes me question WHY then the Libertarian alternative suggested by Daniel Vidal has yet to find a resonance among the victims of the actual capitalist crisis ?

What is missing in the multitude of Anarchist theories so that people seem to opt for massive abstention or vote NF ?

The Anarchist ides exist, libertarian radio and press exist, the groups exist but few people seem convince that your alternative will in the solve their problems.

Anyway.. grose bises libertaires a tous.

Claude
Londres