« Les flics les visaient, les suivaient et shootaient… »

mis en ligne le 6 mars 2014
Quentin : Ça a démarré vraiment quand on s’est retrouvés vers Commerce, au moment où on devait remonter normalement le cours des Cinquante-Otages, ce qui était censé être le parcours de la manif. Là, il y avait des cars de CRS et des barrières qui bloquaient tout. Nous, quand on est arrivés, direct on s’est fait gazer. Il y a eu tout de suite des gaz lacrymo qui ont été jetés sur les gamins, sur tous les gens qui étaient là.

Question : C’était la manifestation paisible, normale ?

Quentin : C’était la manifestation paisible, mais il y avait quand même déjà des gens un peu excités déjà avant, depuis le début de la manif. Donc, nous, on est restés un petit peu dans la zone, voir un peu ce qui se passait, et puis, après, sur les conseils des organisateurs et tout, on a continué à marcher, à aller vers le point de ralliement, l’endroit où c’était fini, pour qu’il y ait un mouvement et que ça s’essouffle un peu.
Après, il y a eu plusieurs salves d’affrontement, des lacrymos qui perpétuellement revenaient, lancés par les flics. Et moi, ce qui m’est arrivé, c’est à la fin, on était vers la place Gloriette, entre Gloriette et l’autre là, là où il y a le café plage, ce rond-point-là en fait, près du CHU justement. Et, nous, on allait pour se replier, on rentrait, les CRS avançaient, eux, avec les camions et tout le truc, et, moi, je reculais avec tout un tas d’autres gens. Je reculais en les regardant pour pas être pris à revers et pouvoir voir les projectiles qui arrivaient. Et là, à un moment, j’ai senti un choc, une grosse explosion et là je me suis retrouvé à terre et, comme ils continuaient à nous gazer, ils continuaient à envoyer des bombes assourdissantes, alors que j’étais au sol, des gens ont essayé de me sortir le plus vite possible, de m’emmener plus loin aussi. Et puis, après, je ne sais pas trop, on m’a mis dans une… les pompiers m’ont emmené quoi.

Question : Et, donc, on dit que tu as reçu une grenade assourdissante qui, au lieu d’être tirée en l’air, a été tirée de façon horizontale, dans ton œil ?

Quentin : Je l’ai prise directement dans le visage. Elle a explosé dans mon visage. Vu ce que ça a fait… Elle a explosé là et c’est comme ça que moi je l’ai ressenti, quoi. Le choc, ça a été un bruit et une douleur extrêmement vive sur le coup, puis, bon, moi, je me suis écroulé. C’est vrai que c’était assez violent, j’ai trouvé. Il y avait, de la part des manifestants, des gens qui voulaient absolument lancer des trucs sur les CRS, mais les CRS, eux, gazaient n’importe qui. Et ils visaient, au flash-ball, ils étaient cachés, on les voyait viser, suivre des gens qui marchaient ou qui couraient en face pour aller se mettre à l’abri. Ils les visaient, les suivaient et shootaient, quoi. Et ils ne visaient pas les pieds. On a vu la façon dont ils tiraient, c’était très… c’était ciblé.

Question : Et, toi, tu étais là, en manifestant paisible, tu n’étais pas armé, tu n’avais rien dans les mains ?

Quentin : Je n’étais pas armé, je n’avais pas de masque à gaz, je n’avais pas de lunettes de protection. On était là pour une manifestation familiale, festive, on était là pour faire masse, pour faire du nombre. Et, après, c’est vrai que je suis resté, même s’il y avait les lacrymos, parce que je trouvais ça injuste et qu’il fallait rester. Y avait des gens, y avait des pères de famille, y avait des anciens, y avait un petit peu de tout et voilà, moi je voulais rester aussi avec les gens pour montrer qu’on était là mais sans…

Aujourd’hui, Quentin n’a plus d’œil gauche.