Espagne : expérience anarchiste exportable

mis en ligne le 30 janvier 2014
1730BurgosEn Espagne, tous les regards sont tournés vers Gamonal, ce quartier ouvrier de Burgos. Depuis le début de l’année une lutte exemplaire oppose les habitants aux autorités. Motif ? Le projet de la mairie de faire traverser le quartier par un boulevard (budget prévu : huit millions d’euros) et de construire un parking privé de 246 places (budget prévu : cinq millions d’euros). Avec le début des travaux, la mobilisation des habitants s’est organisée et a pris une ampleur que les autorités n’avaient pas soupçonnée. Pour les habitants, ce boulevard est jugé « très esthétique mais parfaitement inutile », son coût, exorbitant d’autant plus qu’il y a d’autres priorités pour ce quartier : rénover rues et trottoirs criblés de nids de poules et trous divers, restaurer la façade de la bibliothèque municipale ainsi que les murs des écoles, améliorer l’éclairage des rues, pallier le manque de crèches et garderies… Assemblées générales et manifestations se sont succédé. Le chantier a été occupé et les travaux interrompus. Réponse habituelle des autorités : la matraque. Les forces de l’ordre se sont une fois de plus distinguées par leur brutalité qui, loin d’intimider les habitants de Gamonal, a renforcé leur détermination. Nombreux blessés et une cinquantaine d’arrestations. L’affaire a débordé du cadre local et les habitants du quartier ont reçu le soutien des associations de quartiers d’autres villes d’Espagne. Du coup, intervention de Jorge Fernández, ministre de l’Intérieur, déclarant que ces manifestations étaient dirigées par « des individus anti-système appartenant à des groupes anarchistes qui n’hésitent pas à mener des actions illégales qui troublent des manifestations pacifiques ». Éternelle rengaine. Les habitants, eux, dénoncent la corruption, un projet d’urbanisation douteux, les brutalités policières. L’association de quartier (dans laquelle il y a effectivement des anarchistes, et comment !) s’en tient à ses revendications : que ce soit eux qui décident des travaux urgents à accomplir dans leur quartier, que les manifestants arrêtés soient immédiatement libérés, que le maire soit démis de ses fonctions. Lequel maire, sentant le vent du boulet, a finalement décidé l’arrêt des travaux du boulevard et du parking. Les habitants ont espacé les divers campements qu’ils avaient installés pour permettre aux engins de chantier de venir combler l’énorme tranchée qu’ils avaient déjà creusée. Au moment où j’écris ces lignes le remblaiement n’a pas commencé et les habitants, méfiants, occupent toujours l’espace public. Les autorités essayent de temporiser et accusent les anarchistes d’être les meneurs, et les indignés du 15M d’organiser des mobilisations de soutien dans d’autres villes, en se servant de leurs propres structures créées et renforcées ces trois dernières années (eh oui, c’est ça l’organisation !). Et pour éviter que l’étincelle ne mette le feu à la plaine, ces mêmes autorités accusent associations de quartiers et indignés de transformer « un problème local et technique » en mouvement social national dirigé contre la classe politique, les banques, et d’avoir les mêmes objectifs que l’assemblée du quartier Gamonal. Et ultime aveu d’impuissance et de peur en haut lieu : les représentants des forces de l’ordre déclarent que les « incidents » du quartier de Gamonal sont dus aux « violences des anarchistes de Burgos » et que s’ils ont réussi à stopper les travaux décidés par la mairie cela « ne constitue pas une expérience révolutionnaire exportable au reste du territoire national ». Pas exportable ? Un jour prochain on devrait pouvoir leur prouver le contraire.