Coup de poignard sur un cadavre

mis en ligne le 4 juillet 2013
La violence physique d’une bande de nazillons a tué un jeune homme. L’éloge consternant de Bernard Maris dans les colonnes de Charlie Hebdo l’a tué une deuxième fois. Il y a des louanges qui donnent tout son sens à l’expression « Gardez-moi de mes amis, je me charge de mes ennemis ». De quoi s’agit-il ? Le début de l’article paru le 12 juin commence par faire un portrait de Clément : « un petit gars », « mention très bien au bac », « un petit sciences-po » ; profil sympa, quoi ! Mais cette « bonne bouille » (on s’en fout ! Pas le problème ! Hors sujet !) « croit à ce que l’on croit à 18 ans ». Et là, la fine analyse du sexagénaire revenu depuis bien longtemps de ses enthousiasmes adolescents renvoie l’engagement de Clément Méric à un positionnement juvénile et ses combats pour « la générosité, la liberté, la justice » à une éruption acnéique ! D’abord, affirmer qu’il y a contradiction entre souligner le niveau intellectuel rare de ce jeune homme et le caractère générationnel de son engagement. Ensuite, rappeler qu’il ne suffit pas d’avoir 18 ans pour être généreux, sinon il n’y aurait plus d’antifas, puisqu’il n’y aurait plus de jeunes fascistes. Alors, les idées de Clément, une crise d’adolescent ? « Rassurez-vous, ça passe », déclare Bernard Maris (qui se faisait appeler « Oncle Bernard » avant de devenir membre désigné du conseil général de la Banque de France). C’est tellement énorme qu’on se pince. On n’y croit pas. C’est de l’ironie. D’ailleurs, le titre de l’article n’est-il pas ironique (« Cette jeunesse irresponsable ») ? Et puis, non. Tout compte fait, non !
La suite de l’article ne laisse plus de doute. « Clément était de ces petits gars libertaires qu’on a tous connus et tous un peu été. » Voilà, Bernard Marris a été « Oncle Bernard » et, même avant, un peu « libertaire ». Et après ? Eh bien après, c’est passé ! Du coup, Clément n’a pas vécu assez longtemps pour que ça lui passe ! Cela me rappelle l’académicien Jean Dutourd qui se plaisait sur les plateaux de télé à se définir comme un « anarcho-gaulliste ». Cet oxymore politique m’a toujours consterné. De même, Daniel Cohn-Bendit se définissant comme un « libéral libertaire ». Qu’est-ce donc que cette chimère politique ? Ni plus ni moins qu’un homme mûr devenu libéral et se souvenant avec nostalgie qu’il a été libertaire autrefois.
La vieillesse est un naufrage, dit-on, et l’on a tort, car le naufrage de la pensée n’a pas d’âge. Clément ne pensait pas plus ce qu’il pensait parce qu’il avait 18 ans, que Bernard Marris ne pense ce qu’il pense parce qu’il commence à avoir des varices ! On pense ce que l’on pense parce que l’on y a réfléchi, sinon, ce n’est pas de la pensée, mais de l’opinion facile. Il faudrait savoir : Clément était intelligent et politiquement structuré ou pas ? Guy Môquet avait 17 ans lorsque les nazis l’ont tué. Est-ce parce qu’il avait 17 ans qu’il croyait en la justice et qu’il en est mort ? Ne pas oublier qu’il y avait des Lacombe Lucien du même âge ! Le respect d’un engagement (finalement funeste, mais aussi bien vivant) c’est, comme l’écrivait le philosophe Marcel Conche, ne pas donner un sens à une situation à la place de celui qui la vit.
Certes, cet éloge a été publié dans la rubrique « Apéro » de Charlie Hebdo, mais tu as le vin condescendant, Oncle Bernard ! Proudhon n’est pas plus un philosophe pour adolescent généreux à « bonne bouille » que Camus, n’en déplaise à Sartre, n’était « qu’un philosophe pour classes de terminale ». Oncle Bernard : une idée ne se mesure pas à l’aune des poils au menton de celui qui la pense. Ton journal est bien placé pour savoir qu’il y a des barbus qui pensent peu…



Michel Sparagano



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


fcpgismo

le 29 juillet 2013
l' immense majorité de ceux que j' ai rencontré sur les bancs de la fac de Droit, révolutionnaires à l' époque, sont aujourd'hui des bourgeois sans foi ni loi pour défendre leur patrimoine.

05564Chris

le 6 septembre 2013
Dans le numéro d'été de Siné, le point de vue de Pierre Carles.
Même si certains ne seront pas d'accord avec son point de vue, Carles aura le mérite d'apporter un regard singulier sur cet événement.


http://www.sinemensuel.com/droit-de-suite/l%E2%80%99affaire-clement-meric/