Robert Faurisson hélas a existé

mis en ligne le 22 novembre 2012
Le 18 octobre dernier, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de « l’humoriste » Dieudonné M’bala M’bala qui avait été condamné en première instance à 10 000 euros d’amende pour avoir fait remettre à Robert Faurisson, par un homme déguisé en déporté sur la scène du Zénith, fin 2008, un prix de « l’infréquentabilité ». Robert Faurisson (né en 1929) est sans doute le négationniste le plus célèbre en France. Une biographie 1 récemment parue, rédigée par Valérie Igounet, permet de prendre un peu de recul sur le sujet et de comprendre de quelles complicités a pu bénéficier ce négationniste.
Le terme « négationniste » a été introduit en 1987 par Henry Rousso pour qualifier ceux qui nient les faits attestant la réalité des génocides, et en particulier du génocide juif (souvent dénommé « Shoah » malgré les restrictions d’usage qui devraient s’imposer 2). Les négationnistes se nomment eux-mêmes « révisionnistes », dans l’idée qu’il est bon d’exercer un regard critique sur l’historiographie et « revoir » certains chapitres.
L’intérêt majeur du livre de Valérie Igounet est qu’il est écrit à partir de sources très diverses, qu’il s’agisse des écrits négationnistes, d’archives privées, d’archives publiques mais aussi de très nombreux entretiens. Ces sources lui permettent de replacer Faurisson dans les cinq âges qu’elle définit pour le négationnisme : le premier âge, de 1948 à 1967, marqué par les écrits fondateurs et leur réception, notamment par Faurisson ; le deuxième âge, qui débute avec la guerre des Six Jours et se caractérise par une orientation à la fois antisémite et anticommuniste du négationnisme ; le troisième âge, à partir de 1978, qui offre un rôle de premier plan à Faurisson, notamment grâce à ses procès ; le quatrième âge, dès le milieu des années 1980, marqué par le développement de liens avec ce que l’auteure qualifie d’extrême gauche (p. 28, on aimerait connaître les nuances entre cette « extrême gauche » et les organisations relevant à la page suivante de « l’ultra-gauche ») ; enfin le cinquième âge, débutant avec le XXIe siècle, consacrant l’essor du négationnisme iranien.
Au bout des 400 pages, ayant passé en revue des chapitres importants de l’histoire de la France d’après-guerre à travers le prisme de la vie d’un homme, le lecteur aura pu saisir comment est né le mensonge sur le fonctionnement des chambres à gaz (véritable spécialité de Faurisson), en quoi cette obsession est particulièrement dangereuse pour la société et surtout comment, aux différentes époques et selon les contextes, ce venin a pu être distillé à grande échelle.

Un homme singulier
Sur le plan professionnel, Robert Faurisson est d’abord un littéraire : il rédige en 1951 une maîtrise sur « La psychologie dans les romans de Marivaux » et commence aussitôt sa carrière d’enseignant, d’abord comme maître auxiliaire de français et de latin en région parisienne avant de passer deux années dans le Puy-de-Dôme et en Charente-Maritime. Une fois agrégé, c’est à Vichy, à partir de 1957, qu’il démarre vraiment sa carrière, appréciant de se retrouver dans la ville d’où sa femme est originaire. Valérie Igounet a obtenu de nombreux témoignages d’anciens élèves de cette période et c’est le qualificatif « bizarre » qui revient le plus souvent dans la bouche des témoins pour qualifier cet enseignant. Il est décrit comme étant élitiste, cassant pour les uns et présentant des qualités pédagogiques indéniables pour les autres. Certains élèves s’étonnent, déjà, de ses réserves sur la véracité du journal d’Anne Frank.
Parallèlement à son enseignement, il poursuit ses études et obtient en 1972 un doctorat d’État intitulé La Bouffonnerie de Lautréamont. La soutenance, d’une durée exceptionnelle de six heures, lui permet de se faire remarquer. Il organise un véritable spectacle de rhétorique et dès lors on note chez lui une réelle propension à se mettre en scène. Après les planches de l’amphithéâtre de la Sorbonne, c’est dans les prétoires que l’homme trouve des scènes appropriées. Extrêmement procédurier, il cherche toujours à obtenir des droits de réponse dans les journaux et multiplie les dépôts de plainte quand ce n’est pas lui qui en fait l’objet. Ainsi, alors qu’il est devenu maître de conférences à l’université Lyon II (nommé par le ministère contre les préférences exprimées par l’université dans le classement des candidatures !), il attaque son université car en 1974 il n’est pas promu comme il l’espérait au rang de professeur. La procédure ira jusqu’au Conseil d’État en 1977, et dans cette période Faurisson se fait connaître pour ses positions relatives à la nature des chambres à gaz dans les camps de concentration ou d’extermination. Ainsi, lors de ses nombreux entretiens avec le président de l’université Lyon II, Maurice Bernadet, Faurisson apporte régulièrement des écrits niant l’existence ou le fonctionnement des chambres à gaz. En janvier 1976, il lui adresse une note de deux pages intitulée « Bibliographie sur le problème des chambres à gaz. Ont-elles, oui ou non, vraiment existé ? ».
En même temps, Faurisson est difficile à cerner sur le plan politique. Il s’affiche avec des personnes de l’extrême droite mais dans ses échanges avec l’administration il mentionne toujours l’ancienneté de son adhésion à un syndicat marqué à gauche (le Snes dans le secondaire, puis le SneSup !). Ses écrits se veulent des interprétations révolutionnaires de différents auteurs, notamment Rimbaud, Gérard de Nerval ou Lautréamont, et il ne cache pas son admiration pour Céline. Il développe une méthode qu’il qualifie lui-même de méthode « au ras des pâquerettes », reposant sur une décontextualisation des œuvres, une attitude hypercritique mais aussi des occultations. C’est selon cette démarche, par un transfert de méthode, qu’il entend aborder une période bien particulière de l’histoire : les exterminations dans les chambres à gaz nazies.
Arguant du fait que, après-guerre, des chambres à gaz avaient été reconstruites à Auschwitz avec quelques inexactitudes, il entreprend de rassembler une large documentation. Il connaît à deux reprises un succès international, d’abord auprès des négationnistes étasuniens de l’Institute for Historical Review, à la fin des années 1970 – institut qu’un Noam Chomsky ne dédaignera pas honorer d’une conférence sur « La crise du Moyen-Orient et la menace de la guerre nucléaire » en 1985 – puis, dans les années 2000, en servant le négationnisme d’État en Iran et plus généralement dans le monde arabe, de façon plus ou moins diffuse.

Des influences et des complicités
Bien entendu, là encore, on ne naît pas négationniste, on le devient, et en l’occurrence Faurisson a été influencé de manière décisive par les écrits de Maurice Bardèche (1907-1998) – ouvertement fasciste –, qui publie en 1948 Nuremberg ou la Terre promise, ainsi que par ceux de Paul Rassinier (1906-1967) qui se fait connaître avec Passage de la ligne ou l’Expérience vécue suivi de son livre le plus cité, Le Mensonge d’Ulysse, en 1950. Le jeune Robert Faurisson achète le livre de l’admirateur de l’Allemagne nazie dès sa sortie, au marché noir (il était interdit de vente), et vouera ensuite une grande admiration à l’autre auteur, Paul Rassinier, ce qui l’amènera à lui écrire en 1964 (le décès prématuré de ce « maître à penser » limitera les échanges). Le lecteur ne sera pas surpris de lire qu’en outre, parmi ses écrivains de prédilection, Céline joue un rôle particulier. « Le négationniste s’est nourri de Céline », écrit Igounet.
Dans son dossier de candidature pour le poste de maître de conférences à Lyon, en littérature du XXe siècle, en 1973, Faurisson annonce vouloir travailler sur l’auteur des célèbres pamphlets antisémites et précise en outre qu’il mènera une enquête sur « la “Résistance” et “l’Épuration” dans quelques communes du Confolentais (en Charente) » (p. 139). Plus tard, dans tous ses dossiers de demande d’avancement, il rappellera les titres de ses cours, notamment, en maîtrise, « Le Journal d’Anne Frank est-il authentique ? ». Igounet est formelle, « à partir de 1976, l’université connaît clairement les thèmes des travaux du négationniste ». Comment le directeur de l’UFR et le président de l’université ont-ils pu tolérer de tels titres de cours ?
Encore en 1978, lors d’un colloque intitulé « Églises et chrétiens de France dans la Seconde Guerre mondiale », où Faurisson n’est qu’une personne parmi d’autres dans le public, on le laisse utiliser un enregistrement sur « l’inexistence des chambres à gaz » qu’il diffuse par haut-parleur. L’affaire est couverte par le président de l’université Lyon II et, après quelques vagues hésitations, aucun conseil de discipline n’est réuni.
La même année, ce sont deux quotidiens, Le Matin de Paris puis Le Monde, qui lui offrent une tribune, puis Europe 1, deux ans plus tard.
Ses cours à Lyon font l’objet de manifestations et rapidement, par souci d’apaisement, l’université prie l’enseignant-chercheur de ne plus assurer ses cours. Pendant dix-sept ans, soit jusqu’à sa retraite en 1995, Faurisson perçoit son traitement, il est payé par la République, alors qu’il est dégagé de toute obligation !
À côté de ces complicités que l’on pourrait qualifier de « structurelles », dues au statut des enseignants-chercheurs et au peu de courage d’un président d’université ou d’un secrétaire d’État aux universités, le négationniste a aussi bénéficié de complicités au sein d’un large réseau que le livre de Valérie Igounet permet de mieux comprendre.

Dans la famille « Néga », je voudrais…
L’éditeur : c’est incontestablement Pierre Guillaume, dont le nom restera associé à sa librairie et sa maison d’édition, La Vieille Taupe. Robert Faurisson publiera ainsi en 1980, avec Serge Thion (chercheur au CNRS jusqu’en l’an 2000 !), un livre de référence pour les négationnistes, Vérité historique ou vérité politique ? Le dossier de l’affaire Faurisson. La question des chambres à gaz, livre paru « avec la participation et sous la responsabilité » de plusieurs personnes, dont Jean-Gabriel Cohn-Bendit (le frère de Daniel) et Gábor Tamás Rittersporn.
Le repenti : Jean-Claude Pressac sert d’abord les thèses de Faurisson, copiant et analysant pour lui de très nombreux dossiers au musée d’Auschwitz… avant de se rendre compte que ces thèses ne tiennent pas. Il rompt avec le négationnisme en 1981 et se rapproche alors de Pierre Vidal-Naquet et de Serge Klarsfeld, publiant une histoire technique des chambres à gaz censée répondre de façon définitive aux élucubrations négationnistes.
Le suiveur : Henri Roques contacte Faurisson suite aux articles parus dans Le Monde en 1979. Déjà retraité, il soutient à l’âge de soixante-cinq ans, en 1985, une thèse négationniste avec un jury complaisant, à l’université de Nantes.
Le fils spirituel : bien plus jeune qu’Henri Roques, Jean Plantin (né en 1966) reprend le flambeau du négationnisme à Lyon, à la fin des années 1990. Il bénéficie de la grande légèreté avec laquelle les mémoires de maîtrise et de DEA sont dirigés et soutient en 1990 un mémoire de maîtrise sur Rassinier (on y lit p. 76 : « Au total, le nombre de Juifs morts pendant la guerre se situe entre 1 million et 1,5 million au maximum. » Résultat : mention Très bien !), puis l’année suivante un DEA sur « Les épidémies de typhus exanthématique dans les camps de concentration nazis », thème très faurissonien accréditant l’idée selon laquelle si des Juifs sont morts, ce n’est qu’à cause du typhus.
Le martyr : c’est un autre jeune homme qui suit Faurisson, Vincent Reynouard. Ouvertement nazi (Valérie Igounet rapporte ces propos de Reynouard : « Vous me traitez de néonazi. Moi je dis pourquoi néo ? »).
La sœur : Yonne Schleiter est la sœur de Faurisson. Personne en apparence effacée, elle gère un carnet d’adresses bien rempli et sert de véritable balise Argos aux principaux négationnistes.
Le pivot : Ahmed Rami (né en 1946) est un ancien militaire marocain bénéficiant du statut de réfugié en Suède. C’est lui qui introduit Faurisson dans ce pays et lui donne, de là, un accès au monde arabo-islamique.
Le challenger : Roger Garaudy (1913-2012) est sans doute aussi connu que Robert Faurisson, notamment suite au soutien que lui a apporté l’abbé Pierre. Dans les années 1990, c’est lui qui porte l’étendard négationniste, ce qui déplaît à Faurisson.
L’ouvreur : Paul-Éric Blanrue (né en 1967) est passé de la critique des pseudo-sciences à la critique de l’existence des chambres à gaz. C’est lui qui introduit Faurisson auprès de Dieudonné M’bala M’bala 3.
Le « comique » : c’est bien ce dernier, qui offre une tribune inespérée à Faurisson, au Zénith de Paris, le 26 décembre 2008. Les deux hommes sont depuis très liés et participent avec quelques autres au soutien du négationnisme d’État caractérisant le régime iranien.
Au milieu de tous ces personnages, Robert Faurisson serait sans doute l’équivalent du valet de pique, pour rester dans la métaphore du jeu de cartes. La biographie de Valérie Igounet permet de mieux saisir les orientations actuelles du négationnisme : la collusion avec Dieudonné et quelques mouvements pro-Palestiniens avant tout Anti-Israéliens (souvent liés au gouvernement iranien). Plus généralement, ce livre devrait devenir un ouvrage de référence dans la lutte contre ceux que Pierre Vidal-Naquet appelait « les assassins de la mémoire ».

Jérôme Segal












1. Valérie Igounet, Robert Faurisson. Portrait d’un négationniste, Denoël, 2012.
2. L’auteur fait notamment référence à Henri Meschonnic, « Pour en finir avec le mot “Shoah” », Le Monde, 20-21 février 2005. Voir aussi la note de l’article de Marc Silberstein, « Blasphèmator, le retour », Le Monde libertaire, n°1591, 15-21 avril 2010, note 3. (NDLR.)
3. Voir « Procès Dieudonné-Faurisson : la Cour des Miracles négationnistes ! », Reflexes, 30 septembre 2009 (http://reflexes.samizdat.net/spip.php?article444). (NDLR.)