Les Asturies montrent la voie

mis en ligne le 28 juin 2012
1679MineursEspagneOutre Pyrénées, ça ne fait pas la une des journaux nationaux 1, tout juste des articles en fin de rubrique économique, et, pourtant, les mineurs des bassins des Asturies sont engagés depuis trois semaines dans une lutte extrêmement dure contre le gouvernement espagnol. Le conflit fait suite à l’annonce des modifications du Plan général pour les mines de charbon pour la période 2006-2012 (qui aurait dû prendre fin au 31 décembre). Un premier plan avait été concocté par le gouvernement Aznar (droite) en 1996, puis un second par le gouvernement Zapatero (gauche), à la suite des révoltes dans les bassins miniers en 2005. Ce second plan prévoyait de démanteler cette branche d’industrie progressivement jusqu’en 2018, avec reconversion des travailleurs à la clé. Le gouvernement actuel veut, lui, accélérer le mouvement, la crise financière (toujours elle, bien sûr) étant passée par là.
Les conséquences prévues ne sont pas minces : fermeture de mines en hausse de 64 %, réduction des aides aux exploitations du secteur de 39 % en ce qui concerne les infrastructures, et de 76 % pour ce qui est des investissements, réduction des allocations pour l’Institut du charbon de 39 % également. Et, cerise sur le gâteau : réduction des investissements concernant la sécurité des travailleurs de… 100 % ! Zéro euro prévu pour la protection, la santé et la vie des mineurs. C’est ça la droite décomplexée. Inutile de dire que les syndicats ont réagi au quart de tour en appelant à la grève la dernière semaine de mai. Inutile de préciser non plus que l’appel a été reçu cinq sur cinq, et que la grève a été suivie massivement (dans les Asturies, dans le León et en Aragon, chaque jour, plus de 200 barrages de routes, autoroutes ou voies ferrées, incendies de pneus, affrontements musclés avec les forces policières, dont la toujours fameuse garde civile toujours prête à casser du gréviste, manifestation organisée à Madrid pour populariser la lutte et faire pression sur le gouvernement Rajoy). Il faut aussi préciser que traditionnellement le taux de syndicalisation dans cette région et ce secteur d’activité a toujours été très élevé : près de 90 %, mais que ces syndiqués traînent toujours une réputation de « dissidents syndicaux » de par leur pratique des luttes « horizontale », en net décalage avec les consignes officielles de leurs centrales (UGT ou CCOO).
La principale revendication des travailleurs est de demander aux autorités d’envisager le problème non seulement d’un point de vue économique, mais également environnemental, en établissant de véritables plans de reconversion industrielle conduisant progressivement vers la fin de l’extraction du charbon et son remplacement par des industries socialement et économiquement durables pour celles et ceux qui vivent actuellement de la mine. Évidemment, de reconversions, il n’en n’est plus question, et la situation vire au tragique. Jusqu’à présent, toutes les subventions ont servi à garantir les salaires et l’entretien du matériel mais pas la reconversion du secteur. Résultat, quand l’activité minière aura définitivement cessé (et ça se précise), les chefs d’entreprise conserveront leur argent et leurs privilèges ; par contre, la région sera totalement sinistrée : les travailleurs et les habitants devront la quitter ou accepter de vivoter avec des pensions ridiculement basses (pour ceux qui en bénéficieront).
Face à cette menace, la grève s’est rapidement étendue à d’autres bassins miniers (León et Aragon) et à d’autres secteurs (transports et chantiers navals). Les mineurs sont parfaitement conscients que les suppressions d’aides annoncées sont de fait une condamnation du secteur minier. Les centrales thermiques devront à l’avenir utiliser du charbon d’importation, moins cher puisque provenant de pays où la main d’œuvre travaille dans les pires conditions et pour des salaires de misère (principalement la Chine). La colère des mineurs est d’autant plus grande que ces dernières années, les fameuses aides gouvernementales se sont « perdues » dans les méandres des administrations (sans doute pas perdues pour tout le monde). Depuis le 28 mai, une dizaine d’entre eux occupent deux galeries tandis qu’en surface la grève est massive et illimitée. Ceux qui se sont rendus à Madrid pour manifester ont été « accueillis » par les charges policières et des tirs au flash-ball, ce qui n’a eu pour effet que d’accentuer leur détermination. Dans les Asturies, des affrontements violents ont eu lieu entre grévistes et forces de l’ordre, ces dernières comptant plusieurs blessés dans leurs rangs. On a d’ailleurs eu droit à des déclarations tragicomiques de la garde civile par le biais de deux de ses associations, l’USGC (Union des sous-officiers de la garde civile) et la GCPD (Gardes civils pour la démocratie – ça ne s’invente pas !) qui ont exprimé leur « mal-être dans le conflit du secteur minier des Asturies et du León, qui a provoqué des blessures chez les gardes civils et la police nationale » (et pas chez les manifestants ?). Par ailleurs, « ils reconnaissent la Constitution qui permet aux travailleurs de manifester, surtout dans un contexte d’atteinte à leurs droits et de coupes budgétaires touchant tous les Espagnols » (y compris les flics ?). Toutefois ils « ne comprennent pas l’utilisation de méthodes violentes utilisées par les travailleurs » (c’est l’hôpital qui se fout de la charité…) mais trouvent pour certains d’entre eux « louable d’avoirs recours à des outils démocratiques pour réclamer leurs droits » (peut-être devraient-ils se poser la question de savoir si leurs matraques et flash-ball sont des « outils démocratiques », eux qui défendent les intérêts de la classe possédante). Toujours est-il que 250 agents supplémentaires ont été envoyés à la rescousse pour reprendre la situation en main.
Malgré cela, le 4 juin, ce sont les transports de la région qui se sont déclarés en grève illimitée, suivis par des enseignants, le 7, les travailleurs des chantiers navals du Ferrol s’y sont mis aussi. Quatre mille d’entre eux manifestent, barrent l’autoroute de El Ferrol et ont occupé la mairie et la chambre des congrès avant d’être expulsés manu militari à la demande de ceux qui s’autoproclament représentants de la population. Malgré toutes ces grèves et manifestations dans ces divers secteurs (mines, chantiers navals, éducation, santé, transports), les médias observent un quasi-silence complice avec un pouvoir qui a toujours eu fort à faire avec les Asturies, dont les mineurs demeurent un modèle de combattants des luttes sociales en Espagne. 1934 l’avait déjà montré avec une insurrection menée par l’UGT et la CNT et sauvagement réprimée (plus de 2 000 morts). 1962, c’est encore dans les Asturies que démarra un mouvement revendicatif qui se propagea à tous les bassins miniers, devenant ainsi la première grève à l’échelon national sous la dictature de Franco. Grève qui eut également des répercussions la même année chez les mineurs d’autres pays (France et Belgique), et qui aboutit en Espagne à une amélioration conséquente des conditions de travail, ainsi qu’au recul du syndicat vertical (imposé par les franquistes), et à la création d’assemblées ouvrières devenant les nouveaux interlocuteurs du patronat (assemblées qui donnèrent naissance aux commissions ouvrières – CCOO). Un an plus tard, Pablo Picasso immortalisa cette grève par un dessin représentant une lampe de mineur.
La mémoire ouvrière le rappelle : « La mine est un terrain de lutte, de solidarité, d’effort. Les mineurs, leurs familles, tous les habitants des bassins miniers, grandissent en apprenant que l’effort est ce qui forge le travailleur, que l’entraide est ce qui permet de survivre, et que chacun a besoin des autres en cas de problème. »
Il y a trente ans, cette branche d’activité employait 53 000 mineurs qui ne sont plus aujourd’hui que 7 900, la production étant tombée de 20 millions de tonnes à 8 millions cette année.
Les travailleurs ne comprennent pas que le gouvernement de Madrid, qui s’apprête avec l’aide de l’Europe à injecter une centaine de milliards d’euros dans Bankia 2, ne puisse pas débloquer les 250 millions nécessaires pour maintenir leur activité. Auparavant, les aides au secteur minier avaient été réduites de 600 millions d’euros. Il s’agissait d’une décision gouvernementale prévoyant un plan de coupes budgétaires de 37 milliards d’euros (dont 10 rien que pour l’Éducation et la Santé). La pilule est donc particulièrement difficile à avaler, et un nouvel appel est lancé par les mineurs en grève : « Nous devons être un moteur qui mobilise, agite, diffuse et conscientise le plus de monde possible en faveur de la lutte contre le despotisme bancaire, contre la mafia financière qui nous saigne et tire les ficelles. Il nous faut rattacher cet appel à la grève générale des transports prévue fin juin dans le but de paralyser Madrid. »
Appel entendu dans d’autres régions d’Espagne qui ne sont pas forcément des bassins miniers, mais qui sont solidaires des mineurs. Par exemple, Valence, où une manifestation de soutien aux grévistes a eu lieu derrière les drapeaux rouge et noir, républicains et étoilés (autonomistes) au cri de « Si Valence était minière, elle brûlerait toute entière ».
Pas de répit pour les exploiteurs, pas de vacances pour les luttes : rendez-vous est donc pris à la fin du mois pour une « marche noire » sur la capitale espagnole.





1. Voir Le Monde libertaire n° 1676 : « Ni coupables, ni responsables ».
2. Bankia est un conglomérat bancaire espagnol formé en décembre 2010 suite à la consolidation des activités de sept caisses d'épargne régionales après l'éclatement de la crise immobilière de 2008. C'est d'ailleurs cette même raison qui a poussé l'État a en devenir provisoirement actionnaire majoritaire. Bankia fait état d'un volume d'affaires total de 486 milliards d'euros avec un actif total de 328 milliards d'euros.