Nouvelles de l’autonomie indienne : Wirikuta, San Juan Copala, Chiapas

mis en ligne le 8 mars 2012
Décidément, au Mexique, du côté des communautés indiennes, ça n’arrête pas de bouger. Pas toujours dans le bon sens, d’ailleurs, mais quelques petites lueur d’espoir naissent ça et là, preuves que, comme on aime à le dire sous nos latitudes, « seule la lutte paye ».

Vers une victoire pour les Wixaritari ?
Il y a à peine une semaine, je relatais, dans les colonnes de ce même journal 1, le combat mené par le peuple wixárika contre une compagnie minière canadienne désireuse d’exploiter les sols de Wirikuta, terre sacrée d’une importance capitale dans la culture de ces Indiens (et concédée à la compagnie par l’État fédéral mexicain). Comme pour beaucoup de luttes indigènes, l’espoir d’une victoire wixárika semblait maigre dans ce duel à la David contre Goliath. Et pourtant. Déterminés depuis plus d’un an à ne pas lâcher l’affaire, luttant sans violence mais avec témérité et conviction, les Wixaritari semblent avoir enfin obtenu gain de cause. Dimanche 26 février, le Front en défense de Wirikuta publiait sur son site un texte annonçant la décision du pouvoir judiciaire fédéral de suspendre l’exploitation minière prévue dans la commune de Catorce (Wirikuta). Cette décision fait suite à la demande de protection juridictionnelle déposée au tribunal par les autorités wixaritari au nom de la préservation du territoire de Wirikuta et des droits de l’homme. La justice mexicaine a donc, cette fois-ci, donné raison aux indigènes.
Mais ne crions pas victoire trop tôt ; cette suspension semble n’être que temporaire, le temps qu’une solution au problème soit trouvée. À terme, il n’est pas sûr, donc, que la compagnie canadienne plie définitivement bagage. En outre, si cette décision est heureuse pour le peuple wixárika, le problème de la misère sociale qui frappe une grande partie des habitants de San Luis Potosí – pour qui l’ouverture d’une exploitation minière offrait des perspectives d’embauche – demeure. Pour les uns comme pour les autres – et là-bas comme ailleurs –, il ne semble y avoir d’autre solution possible à tous ces maux qu’une sortie radicale et définitive du modèle de société capitaliste et étatiste.
San Juan Copala : le retour de l’autonomie définitivement compromis ?
Du côté de San Juan Copala, dans le Guerrero, la situation n’a pas beaucoup progressé depuis les événements que j’évoquais il y a quelques semaines 2. Malgré les annonces régulièrement répétées d’un retour « coûte que coûte » et l’assurance qu’ils n’abandonneront pas la bataille, les déplacés de Copala ne sont toujours pas revenus chez eux. Aux dernières nouvelles, l’État d’Oaxaca a convoqué une table de discussions réunissant les représentants des déplacés et des fonctionnaires du gouvernement. À son issue, il fut décidé de la mise en place d’une « réunion de travail » en vue d’élaborer des « propositions concrètes pour une issue dignes à [leurs] demandes » 3. Un accord aurait aussi été conclu pour qu’une commission de dix déplacés puisse retourner, le samedi 18 février, dans leur communauté, avec les garanties de sécurité nécessaires 4.
Bref, ça ne bouge pas beaucoup et les rares avancées semblent peu à peu éloigner les déplacés de leur projet d’autonomie. Eux-mêmes doivent faire face à leurs contradictions, celles qui les poussent à réclamer la protection de l’État au nom du respect et de la construction de leur autonomie. En en discutant dernièrement avec un jaguar (qui a construit sa maison sur le net : http://lavoiedujaguar.net), on en est arrivé à la conclusion – sans doute un peu ambitieuse – que la seule solution qui s’offrait aux déplacés de San Juan Copala était d’abandonner leur commune d’origine, celle d’où ils ont été expulsés, et d’en construire une nouvelle ailleurs. Après tout, n’est-ce pas ce qu’ont fait zapatistes, au Chiapas, avec les caracoles ? Partir de rien, et recommencer de zéro.

Le Chiapas, toujours dans les griffes de la contre-insurrection
Dans les montagnes du Chiapas, les agressions et les harcèlements contre les partisans de l’autonomie zapatiste ne cessent toujours pas. En décembre 2011, un groupe de cinquante personnes armées et affiliées au PRI ont envahi le village de Banavil et y ont violenté et menacé quatre familles connues pour leur sympathie non-dissimulée avec l’EZLN. Un homme, Alonso, a été roué de coups de bâton et de crosse et, lorsque son fils a voulu s’interposer, celui-ci a reçu une balle dans la poitrine et une autre dans l’aine. Conduit à l’hôpital, il a peu après été arrêté par la police chiapanèque ! Entre-temps, son père, Alonso, a été kidnappé par les hommes du PRI et, à l’heure qu’il est, personne ne sait où il se trouve (le 23 décembre, un bras tranché a été retrouvé à proximité du village et la famille d’Alonso a assuré qu’il s’agissait du sien). Le 19 janvier, Francisco Santiz, base d’appui de l’EZLN, est à son tour arrêté par les autorités et accusé d’avoir participé aux événements de décembre, alors que tout le monde assure qu’il n’était pas présent sur les lieux du drame. Dans un communiqué daté du 20 janvier 2012, le Centre des droits humains Bartolomé-de-Las-Casas dénonce fermement ces nouvelles agressions et mesures d’intimidation exercées par les autorités contre les zapatistes et leurs soutiens. Il déclare que, au final, « les agressions qui ont eu lieu le 4 décembre se sont soldées par la mort de Pedro Méndez López (priísta), la disparition d’Alonso López Luna, le déplacement de quatre familles accusées d’être des sympathisantes zapatistes, l’arrestation de Lorenzo López Girón, gravement blessé et accusé de coups et blessures, la détention arbitraire de Francisco Santiz López, base d’appui de l’EZLN, qui n’était pas là au moment des faits, et par six autres personnes blessées ». La contre-insurrection du gouvernement est donc toujours en marche au Chiapas, et ce d’autant que le mouvement zapatiste est aujourd’hui, et depuis quelques années déjà, dans sa phase la plus fondamentalement dangereuse pour le pouvoir : celle de la mise en pratique et de l’expérimentation de l’autonomie.







1. « Wirikuta ou l’essence d’une vie » dans Le Monde libertaire n° 1662.
2. « La commune de San Juan Copala : histoire d’une autonomie saignée » dans Le Monde libertaire n° 1658.
3. « Nous, déplacés de Copala, luttons chaque jour pour la vie », communiqué du Conseil autonome communautaire de San Juan Copala, 21 février 2012. Traduction de El Viejo.
4. Gloria Muñoz Ramirez, « Ceux d’en-bas : résistance des peuples indiens », dans La Jornada, 4 février 2012. Traduction de Chelmi.