État des lieux sarkozien

mis en ligne le 9 février 2012
Il y a deux semaines notre grand timonier à nous, a parlé. De son interview multi-diffusée sur nos écrans télé que ressort-il ? : Travailler plus pour gagner plus, c’est fini ; on passe au travailler moins pour gagner moins. Nicolas Sarkozy nous explique que pour préserver les emplois, il faut permettre à nos entreprises d’être compétitives et pour cela accepter – provisoirement bien entendu – que l’employeur baisse le salaire sans réduire le temps de travail, ou qu’il allonge le temps de travail sans augmenter la rémunération. Au choix ! Tout cela, répétons-le, ne durera que le temps pour l’entreprise de sortir d’une période difficile, de franchir une mauvaise passe. L’accord d’entreprise ainsi signé avec des syndicats représentant au moins 30 % du personnel s’appliquera à tous les salariés sans besoin de leur acceptation individuelle.
En réalité on est déjà dans l’ère du «travailler plus pour gagner moins». Les patrons vont pouvoir s’en donner à cœur joie, car évidemment tout leur sera bon pour se dire pas assez ou même non compétitifs. Non compétitifs par rapport à qui au fait ? À l’Allemagne ? Au Maghreb ? À la Chine ? Nous ne sommes pas prêts d’être compétitifs – et heureusement – ou alors c’est qu’il faut accepter d’autres « réformes » du genre : la retraite, pas à 60 ans, ni à 62, ni à 70 et même pourquoi une retraite ? Et pourquoi donc cinq semaines de congés payés ? Ne serait-il pas temps d’accepter – provisoirement bien sûr- de n’en avoir que trois, voire plus du tout ? Et c’est quoi cette histoire de week-end ? Restons Français que diable, le samedi chômé ne peut être qu’une invention de la perfide Albion, boutons cette coutume hors de France, retravaillons six jours par semaine, et puis pas huit heures quotidiennes – autre invention des rouges de la CGT d’avant 1914 – mais douze, mais quinze… enfin ce qu’il faudra, puisque c’est juste pour sortir l’entreprise d’une mauvaise passe. Le salarié lui, c’est bien connu, ne connaît pas de difficultés, et ne remerciera jamais assez le patron de lui permettre de s’épanouir au travail, de faire tourner la machine capitaliste, sans se poser trop la question de savoir s’il a vraiment besoin d’un patron, ou si ce n’est pas plutôt l’inverse.
Déjà, avec le coup de l’augmentation de la TVA qui devient « sociale » en passant à 21,20 % le consommateur français va se serrer un peu plus la ceinture. Et donc, le travailleur français (qui est aussi consommateur) a le moral dans les chaussettes ; il a beau consentir des efforts, écouter ce qu’on lui dit, faire où on lui dit de faire, ce n’est jamais suffisant ; la preuve c’est que des entreprises continuent de fermer ou d’être délocalisées.

Le catalogue que l’on redoute
La liste n’en finit pas de s’allonger : Lejaby dont on vous parlait déjà la semaine dernière dans Le Monde libertaire, Lejaby donc qui a vu défiler dans ses murs les politiciens de gauche et de droite, ministre compris, et s’entendre promettre que, non on ne les laissera pas tomber… au moins jusqu’à l’élection présidentielle ; après, devinez : plus de crise ? Plus de manque de compétitivité ? Les promesses n’engagent jamais que ceux qui veulent les croire. Un repreneur miracle sort à la dernière minute de la manche du ministre/député Laurent Wauquiez ? Attention : un spectre hante la Haute-Loire : celui de l’usine de Gandrange où on a pu juger l’efficacité et la crédibilité de Nicolas Sarkozy. Celui-là même qui n’hésitait pas à déclarer il y a deux semaines aux deux faire-valoir qui l’interviewait à la télé : « Il faut arrêter que n’importe qui dise n’importe quoi n’importe comment » (et lui, devrait réviser sa syntaxe). Étonnante déclaration ! « C’est l’hôpital qui se fout de la charité » aurait dit ma mère qui supportait mal ce genre de gugusse.

Autre front des luttes : Peugeot
En 2008 déjà chez Peugeot Motocycles (1 100 ouvriers) les salariés des deux sites de Mandeure dans le Doubs et de Dannemarie dans le Haut-Rhin ont accepté, pour être compétitifs de travailler plus sans compensation de salaire. Quatre ans plus tard le bilan est éloquent : à la fin de cette année il ne restera plus que la moitié de l’effectif de 2008, et de nouvelles suppressions de postes sont prévues. Les sacrifices des travailleurs n’auront pas évité une délocalisation partielle (pour le moment) vers la Chine.

Thales Avionics
Là c’est vers Singapour qu’on s’apprête à délocaliser. Les syndicats CGT-CFDT et CFE-CGC s’adressent au président Sarkozy, l’État étant le premier actionnaire de Thales. Ne rêvons pas, les pleurnicheries devant l’Elysée ne serviront dans le meilleur des cas qu’à obtenir des promesses du même tonneau que celles faites aux ouvrières de Lejaby. À Singapour la main d’œuvre recrutée est malaisienne : on imagine aisément ce que sont les salaires et les conditions de travail. La direction de Thales ne va pas se prendre la tête longtemps : comme en 2010 déjà, elle délocalisera sans états d’âme (si tant est qu’elle en ait une).

Faisons un tour chez Procme
Société de travaux publics travaillant pour ERDF et GDRF. Là il s’agit d’une centaine de travailleurs immigrés (Portugais) qui se sont mis en grève à Ramonville (près de Toulouse). La société Procme recrute directement au Portugal afin d’avoir une main d’œuvre bon marché qu’elle fait venir travailler dans le sud de la France. C’est une autre méthode : quand on ne peut pas délocaliser l’entreprise on va recruter les salariés là où ils coûtent moins cher au patron. Plus fort que « produisons français » c’est « exploitons français ».

Petroplus
L’ineffable Éric Besson s’est rendu lui, à la raffinerie Petroplus de Peti-Couronne (Seine Maritime), et là aussi le Parti socialiste était représenté avec Laurent Fabius. Mais les solutions elles, n’étaient pas de la partie. Les travailleurs du site ne sont pas plus avancés quant à leur avenir. La raffinerie est à l’arrêt depuis début janvier, et les soi-disant repreneurs restent dans le flou. Bref : du mouron à se faire pour les 550 salariés de l’usine.

Les profs
Jamais contents, les enseignants de l’Éducation nationale ne sont pas en reste et ont fait grève une journée pour protester contre la réforme de l’évaluation des personnels et les suppressions de postes prévues à la rentrée 2012. Les enseignants, bête noire du gouvernement, n’ont semble-t-il pas l’intention d’attendre le résultat des élections d’avril/mai pour réaffirmer leur opposition à cette politique.
On pourrait continuer de remplir ce catalogue pendant longtemps. Notons seulement que près de chez nous, nos voisins belges se sont mis en grève générale pour dénoncer l’austérité qui leur est imposée, au nom de la lutte contre la crise. Malgré une virulente campagne antisyndicale menée par les politiciens et les médias, la grève a été largement suivie du fait qu’elle était convoquée par les trois grandes centrales syndicales (FGTB, CSC et FSGLB). La dirigeante de la FGTB (socialiste) rappelle que les mesures d’austérité annoncées « sont contre-productives, car dans les pays où on a fait la même chose c’est devenu pire qu’avant ».
Et tiens, puisque la compétitivité est le leitmotiv de tous les patrons de par le monde, et des gouvernements qui les représentent, une journée d’action syndicale à l’appel de la CES (Confédération européenne des syndicats) aura lieu le 29 février, veille du sommet des dirigeants européens dont le but est de renforcer la discipline budgétaire au sein de l’Union Européenne. 84 organisations syndicales doivent participer à cette journée d’action partout en Europe pour s’opposer à l’austérité qui s’annonce. Mais syndiqués ou non, il s’agira de faire entendre notre voix pour dire une fois de plus que non, nous ne paierons pas leur crise, et que oui, nous voulons travailler moins, sans gagner moins, pour vivre mieux.