Des camps militaires pour résoudre la délinquance ?

mis en ligne le 27 octobre 2011
« Cassons les prisons ! » est un slogan comme un autre, souvent repris dans les milieux libertaires. Comme tout slogan qui se respecte, il est à la fois provocateur et excitant pour les uns, outrancier et terrifiant pour les autres. Ce que l’on peut dire, c’est que ce slogan est bien entendu réducteur et ne sert pas à grand chose s’il n’est pas accompagné d’une certaine pédagogie.
Prenons comme exemple la justice pénale des mineurs. Depuis plusieurs années, un bouquet de lois et mesures a été adopté et a permis un glissement progressif du versant éducatif vers un versant plus répressif. Nous nous retrouvons avec un mille-feuilles immangeable de mesures de prévention et de coercition qui tente d’encadrer une délinquance juvénile sans y parvenir : établis-sement pénitentiaire pour mineur, centre éducatif fermé, centre éducatif renforcé, centre de placement immédiat, foyers d’action éducative, etc.

Les « Boot Camp » débarquent en France !
Nés dans l’état de l’Utah à l’initiative de la congrégation des mormons (!), aujourd’hui une quarantaine de « Boot Camp » ont fleuri sur tout le territoire des États-Unis, pour toutes les formes de déviance ou de délinquance. D’anciens militaires, aux méthodes très militaires, assurent discipline, redressement et rééducation des mineurs en un temps record. Les tribunaux américains proposent également cette solution comme alternative directe à l’incarcération des jeunes délinquants. En France, c’est donc par la voix d’Éric Ciotti et de sa proposition de loi, que nous nous apprêtons à voir fleurir ce type de camps ; c’est prévu pour 2012 et c’est voté. Quinze centres à encadrement militaires seront ouverts à cet effet. « Cela permettra aux mineurs concernés de réapprendre les valeurs essentielles à la vie en société tout en bénéficiant d’une remise à niveau scolaire et d’une formation professionnelle », dixit le député. Des mineurs de plus de 16 ans, 200 par an selon les estimations, pourront se voir proposer un service « citoyen », d’une durée de 6 à 12 mois au sein d’un établissement public d’insertion de la défense (Epide). Nous voyons bien, malheureusement, que la conduite des politiques publiques concernant le traitement de la délinquance des mineurs renonce à son discours idéologique en faveur du « tout éducatif » et que le pouvoir en place fait de la sécurité publique une de ses priorités en affirmant qu’elle constitue l’un des droits fondamentaux du citoyen et qu’il faut donc autant sanctionner qu’éduquer ou réinsérer (propos démagogique et clin d’œil aux électeurs du FN). Le débat public n’est pas pour autant apaisé et rebondit à la veille de chaque échéance électorale, tant cette problématique est sensible dans l’opinion publique (la proposition des camps militaires a été suggérée par Ségolène Royal en 2002 ainsi que dans un rapport du député du Gard Nouveau Centre, Yvan Lachaud). Les risques sont donc grands que l’idéologie et la pression du « ya-qu’à » (« Il n’y a qu’à doubler le nombre de « centres fermés. » ; « Il suffirait de renforcer la police de proximité ; d’agrandir les prisons, de doubler le nombre d’éducateurs, etc. ») ne donnent une occasion de plus aux politiciens en campagne de dire et faire n’importe quoi (simplifier et communiquer) au détriment d’une analyse sérieuse et d’un traitement structurel, inscrit dans la durée, de ce qui constitue un problème de société. De plus, il ne suffit pas de redéployer des moyens ou des structures pour traiter efficacement ce problème puisque les dispositifs empilés restent vides de sens. Il faut comprendre avant d’agir. Une fuite d’eau dans un appartement observée par le locataire, disons au niveau du plafond, pourra être régulée par un seau installé au sol ; mais vite saturé, il faudra que le propriétaire ajoute un autre seau puis un autre, puis un tonneau, une baignoire etc. Pas une seule fois le propriétaire ne cherchera à connaître l’origine de cette fuite et il ne fera que contenir l’eau écoulée afin d’éviter les dégâts. Pourquoi ? Sûrement parce que la fuite vient de l’appartement du dessus qui appartient au propriétaire. Le cas de la délinquance juvénile est typiquement un problème de fuite d’eau. Des « apaches » des faubourgs aux « cailleras de banlieues », en passant par les « blousons noirs », la jeunesse a connu des soubresauts réguliers depuis le XIXe siècle, et les « phénomènes d’insécurité » sont parallèles aux différentes phases de mutations économiques, sociales, urbaines et aux grandes périodes de crise. La jeunesse issue des classes sociales les plus défavorisées a toujours été majoritaire au sein de ces groupes sociaux délinquants. En effet, les jeunes baignant dans la pauvreté sont plus facilement exploités et maltraités ; ils sont amenés pour subsister et pour survivre à mendier, à voler, à être les « fourmis » de l’économie parallèle. Plus gravement, ils en arrivent à se prostituer ou se comporter violemment pour défendre leurs maigres intérêts ou se protéger et à se droguer ou boire pour supporter et affronter cette vie de merde. Cela a conduit les pouvoirs publics à développer une approche sécuritaire comme réponse sociale sans pour autant remettre en question les mutations socio-économiques nées de notre société capitaliste qui ont entraîné de nouvelles formes de paupérisation (touchant des pans entiers de la population) et une déstabilisation des réseaux de solidarité. La délinquance a donc de beaux jours à venir et ce n’est pas l’apparition de nouvelles mesures inadaptées et l’encadrement militaire qui y changeront quelque chose. Alors « cassons les prisons », reflet d’une société injuste et inhumaine dont la délinquance n’en est que révélatrice.

Philippe, groupe Gard-Vaucluse de la Fédération anarchiste