Kronstadt et la radio

mis en ligne le 20 octobre 2011
Il ne suffit pas qu’une situation soit révolutionnaire, faut-il encore qu’on le sache ! C’est ainsi que, lorsque les insurgés de Kronstadt mirent à bas pendant près de trois semaines la dictature du Parti-état bolchevique, ils s’empressèrent d’adresser des messages radio à tous ceux qui pouvaient les capter en Russie ou dans le monde. Le malheur fut que ceux qui les reçurent en Russie ne furent que des postes-émetteurs militaires sous étroit contrôle des bolchevique et les messages ne purent aller plus loin ni toucher réellement la population laborieuse à laquelle ils étaient adressés. Lénine et les siens s’étaient bien rendu compte de l’importance des moyens de communication et s’en étaient accaparé le contrôle total. Aussi, la nature et les buts du mouvement de Krondstadt restèrent ignorés de presque tout le monde, sur le moment.
Quelques insurgés prirent sur eux d’aller porter la résolution prise au début de l’insurrection – constituant son programme – sur le continent. Presque tous furent interceptés par la Tchéka et fusillés scéance tenante. Lénine avait une peur bleue que la population sache la vérité sur les Kronstadiens, car tout son édifice bâti sur le sable du mensonge permanent se serait écroulé immédiatement. Les insurgés privilégièrent malgré tout l’information directe, par radio, par téléphone (même problème de censure) ou par tracts et proclamations distribués aux assaillants ; ils pensaient que ceux-ci, une fois au courant de leurs véritables objectifs, refuseraient tout net de marcher contre eux. Ce calcul fut en partie exact, en partie seulement car les bolcheviques surent emmener à l’assaut des troupes asiatiques ne parlant même pas le russe et des troupes tchékistes et autres sbires du parti qui, eux, ne parlaient que la langue de bois de leur catéchisme léniniste. La démarche des Kronstadiens leur était dictée par leur choix stratégique : ils ne voulaient pas prendre l’initiative des combats, estimés fratricides, et également ne pas se substituer à la volonté des masses en se conduisant comme un détachement offensif. Ils misaient sur la discussion et la libre confrontation des idées. C’était tout à fait juste du point de vue révolutionnaire, passif sur le plan militaire où la meilleur défense est souvent l’attaque.

Alexandre Skirda
Article tiré du Magazine libertaire n°7