Le café du Chiapas

mis en ligne le 22 septembre 2011
Le soulèvement des paysans du Chiapas mexicain le 1er janvier 1994 contre l'accord de l'Alena avait donné lieu à une situation inédite à bien des égards. Ce fut d'abord un signal fort envoyé aux opposants du libéralisme. Les luttes indiennes et paysannes du continent latino-américain regagnèrent de la visibilité, pourtant perdue depuis les contre-célébrations du 500e anniversaire de la découverte de l'Amérique, en 1992. La réaction, en Europe, fut longue à venir : les gauchistes, acteurs habituels des comités de lutte contre les dictatures d'Amérique du sud, étaient désarçonnés par l'EZLN (Armée zapatiste de libération nationale), un curieux appareil militaire qui ne voulait pas du pouvoir et qui affirmait un mode de lutte respectant les règles de l'autonomie des populations civiles qui se rebellaient. Pourtant, les modes originaux de communication du mouvement zapatiste, mais surtout les valeurs de ce mouvement, facilitèrent une éclosion de collectifs de soutien à travers le monde. Dix sept ans plus tard, alors que les rebelles de l'EZLN, sans rien céder sur le fond et en subissant toujours des agressions souvent meurtrières, réfléchissent sur les suites à donner à leur mouvement, les appuis se sont raréfiés 1.
Pourtant, discrètement, et depuis des années pour certains, des collectifs de consommateurs solidaires se constituèrent puis se mirent en relation. Leur objectif était de devenir des bases d'appuis aux luttes zapatistes, et ceci en diffusant le café de qualité biologique, produit par ces communautés rebelles. Le sud-ouest de la France fut le point de départ d'un réseau dont l'Hérault, le Gard et le Vaucluse sont parmi les derniers nés. Américasol dans le Tarn, et Mut Vitz 31 à Toulouse structurèrent, il y a une dizaine d'années, un mode d'organisation original qui inspire encore tout le réseau. Agissant comme un groupement d'achat coopératiste, sans intermédiaires ni buts lucratifs, le réseau achète du café en grain vert à des coopératives du Chiapas zapatiste. Chaque année, le prix, fixé par les producteurs eux-mêmes, donne lieu à un pré-paiement des représentants du réseau français. Ensuite, les 17 tonnes de café arabica livrés en France sont distribués aux comités locaux qui visent l'autonomie en organisant eux-mêmes la gestion et la distribution du café. L'absence de permanents, et la forte prégnance autogestionaire, permet de ne pas spolier l'argent des chiapanèques. Les bénéfices retirés des ventes sont donc intégralement remis aux Conseils de bon gouvernement qui ont à charge d'organiser la gestion et la coordination des différents villages. La transparence financière voulue et assumée par les collectifs locaux français, le rejet d'un commerce « équitable » alliant business et bonne conscience, le bénévolat 2, refuser toute spéculation commerciale sur ce café, sont des incontournables pour les comités locaux.
Martine, du comité Américasol du Tarn, commente : « Je suis moi même éleveur et maraichère. Mon lien avec le mouvement zapatiste, c'est le développement de rapports entre les diverses communautés en lutte, chassées de leurs terres, ici comme là-bas. Avec les revenus de la production du café, le projet des zapatistes est de financer l'achat de matériaux pour la construction d'une Bodéga (lieu de stockage du café des coopérateurs dont le nombre augmente de manière conséquente : 300 producteurs supplémentaires ont rejoints la coopérative Yatchil qui produit le café). Pour rappel, notre achat de café est solidaire dans le sens que chaque année les sommes versées aux Conseils de bon gouvernement sont utilisées, suite à des choix collectifs, pour des projets tels que l'achat de camion et la construction d'un dispensaire ; et cette année, plus précisement, à l'aide alimentaire aux réfugiés des Hautes Terres (entre 5 000 et 7 000 personnes concernées pendant l'année). Cette année, la coopérative Yatchil nous a envoyé le budget prévisionnel pour – si nous le pouvions – participer au financement de la Bodéga. »
C'est ainsi que ce café devient un vecteur de la rebellion des communautés du Chiapas. Participer à sa diffusion peut donc être compris comme un effort de solidarité active et concrète, et comme autant de prétextes à parler du « Mexique d'en bas », et des moyens d'en finir avec les injustices sociales, là bas comme ici. Car l'adhésion aux valeurs zapatistes se double d'une adhésion aux pratiques qui sont les leurs. Faciliter l'association entre égaux, autogérer des résistances, avoir un regard critique et politique sur sa propre consommation, s'impliquer dans des luttes ou projets collectifs à caractère anti-capitaliste et autogérés, sont des prolongements naturels de l'action des collectifs distribuant ce café.
De pareils réseaux – aux modes d'organisation variables – existent en France et dans le monde. Ce sont autant de bases d'appuis aux rebelles zapatistes, modestes parfois, mais actives 3 et qui produisent un bruit de fond, en écho aux luttes du Chiapas, pour ne pas oublier.




1. Voir l’article « Le zapatisme sur le chemin des oubliettes » de Guillaume Goutte dans Le Monde libertaire n° 1641.
2. Seuls le transport maritime, la torréfaction et le coût des sachets vides sont des frais incompressibles.
3. Pour plus d'informations sur les collectifs existants, écrire à mut.vitz31 (arobase) laposte.net