Toujours la détention préventive

mis en ligne le 1 septembre 1969
On n’en finira jamais avec les tribunaux (Bon, voilà que j’allais écrire la Justice). On voit chaque jour des gens condamnés à « une peine couverte par la détention préventive ». On pourrait en citer bien des exemples . J’en pique un, au hasard de la presse. Sous le titre : « IL AVAIT VOLE LE 82 » on nous raconte l’histoire farfelue d’un déséquilibré qui s’était installé au volant d’un autobus « pour voir comment ça marche ». Le Président de la correctionnelle a lui-même déclaré : « Pour les trois mètres qu’il a parcourus avec, on peut difficilement parler de vol. D’autant qu’il a tout de suite rendu son autobus à qui de droit. »
Qui de droit, c’était un agent de police que le chauffeur curieux a quelque peu rudoyé.
Le Président, lui, conclut en faisant de l’esprit : « En somme, c’est une vocation ratée. »
Faire de l’esprit, c’est une chose qui contribue beaucoup à attirer du monde dans les salles d’audience. On ne s’insurgera jamais assez contre ces présidents-vedettes dont il est permis de se demander s’ils considèrent bien leur propre tribunal avec le respect qu’ils exigent des autres. Sans doute est-il plus difficile de réussir comme chansonnier que comme magistrat. Les places sont plus rares, et quand il s’agit de promotion, c’est le public qui décide . Autrement dit, le chansonnier dont c’est le métier de montrer qu’il a de l’esprit, joue sa carrière à chaque séance. Le juge, lui, joue avec la carrière et parfois la tête des autres, comme disait Marcel Aymé.
Et quand un homme est resté huit mois, parfaitement huit mois, en prison pour avoir parcouru trois mètres avec un autobus, le Président du Tribunal qui ne veut pas avoir l’air de donner tort au magistrat instructeur, lui colle huit mois de prison ferme. Ça fait juste le compte. Comme par hasard. Tout de même, ils ont du nez, les juges d’instruction !
Même quand ils gardent un malade en prison malgré les rapports des médecins, et même quand ce malade en meurt, comme ce fut le cas pour Jean-Claude Roland !
On se demande combien de temps serait resté en taule le « voleur de bus » s’il avait blessé un passager ou un piéton.
Quoique, attendez voir. Sur la même page de journal, voilà que je découvre un tout petit entrefilet… « Un abbé responsable d’un accident de car qui avait fait trois morts et une vingtaine de blessés, a été condamné à un mois de prison avec sursis, peine amnistiée, et à un an de suspension de permis de conduire… »
Vraiment, quand on lit les journaux, on est toujours à se demander s’ils ne sont pas farcis de coquilles.

Bernard Clavel