Idaho : une Journée contre l’homophobie, et puis s’en va ?

mis en ligne le 26 mai 2011
L’Idaho pour les nuls !
L’Idaho (qui vient de l’anglais « International Day Against Homophobia » : Journée internationale contre l’homophobie) a été créé en 2005, après la disparition définitive de l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Dans un premier temps, c’est en 1973 que le DSM (Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders), manuel de référence de la psychiatrie nord-américaine, retirait l’homosexualité de sa liste des pathologies mentales, mais créait une catégorie réservée aux « troubles de l’orientation sexuelle », qui visait en réalité les homosexuels… Sous la pression des associations militantes américaines, cette seconde catégorie a été définitivement retirée en 1980 et il aura donc fallu attendre encore vingt-cinq ans pour que les choses soient clairement écrites et que soit créé l’Idaho. Depuis, chaque 17 mai, les institutions internationales reprennent le flambeau à leur compte et se fendent surtout… de discours théoriques, uniquement pavés de bonnes intentions !

En France : non, non rien n’a changé, tout, tout a continué !
Pourtant, en 2011, trente ans après la dépénalisation de l’homosexualité en France, et après trente ans d’épidémie de VIH-Sida, tout reste à faire. En effet, dans l’Hexagone, la tendance est à la banalisation des discours homophobes, comme les insultes impunies de Christian Vanneste, député UMP du Nord pour qui « l’homosexualité est une menace pour la survie de l’humanité », ou les demi-excuses de Nora Berra (déjà relayées plusieurs fois dans des colonnes du Monde libertaire), secrétaire d’État à la Santé qui parlait de l’homosexualité comme « facteur de risque dans la transmission du virus du sida ». En France, les lesbiennes, les gays, les bis et les trans (LGBT) sont toujours discriminés. Le mariage entre personnes du même sexe est obstinément rejeté par une droite qui ne cesse de lui opposer sa conception de la « famille traditionnelle, constituée d’une altérité sexuelle » présentée comme « essentielle ». Cette conception renvoie à des principes religieux, pour ceux qui ont guidé l’élaboration des lois de bioéthique. Parmi les 160 personnalités auditionnées par les rédacteurs du rapport, les trois grandes religions (chrétienne, juive et musulmane) avaient leurs représentants et leurs alliés « anonymes ». Tous ont mis en lumière leur positionnement vis-à-vis des choix de vie des LGBT et de leur accès à la parentalité via les techniques de procréation médicalement assistée. Ces techniques leur sont refusées, car, à leurs yeux et aux yeux de la majorité parlementaire actuelle, elles sont uniquement conçues et doivent rester comme un « moyen de consolidation des familles traditionnelles connaissant des difficultés à procréer ». La procréation médicale assistée (PMA), selon cette conception, ne devrait apporter de réponse qu’aux seuls problèmes médicaux, et ne pourrait en aucun cas répondre aux désirs des individus, qui plus est lorsqu’ils entendent fonder une famille jugée « incomplète » par ces tenants du patriarcat. Ainsi, sous couvert de neutralité médicale, les lois de bioéthique tracent arbitrairement la frontière sociale des familles légitimes et illégitimes et permettent à la religion d’exclure les LGBT, comme elle l’a d’ailleurs toujours fait.

La calotte et l’État : les bons vieux freins à nos libertés
Face à ces attaques, aux freins que les politiques et les religieux tentent d’opposer à nos libertés, les LGBT, mais également tous les individus épris d’autodétermination et les libertaires, continueront à s’y opposer par la lutte. Nous ne laisserons pas un gouvernement qui ne cesse de gagner des galons dans la xénophobie, l’homophobie, la transphobie et la sérophobie, gérer nos vies et celles de nos enfants. À ceux qui nous servent chaque année de grands discours d’autocongratulation sur les avancées du droit des homosexuels dans le monde, nous opposons que ces derniers sont toujours, y compris en France, considérés comme des sous-citoyens. Certes, les LGBT ont remporté quelques droits durement acquis, comme celui de recourir à un sous-contrat de mariage. Pour rappel, si les anarchistes sont traditionnellement contre l’idée du mariage, ils peuvent comprendre cette revendication des LGBT, dans la mesure où ces derniers n’acceptent pas qu’il y ait des droits à plusieurs vitesses, sous prétexte d’être dans la bonne ou la mauvaise norme. D’ailleurs, le PACS, considéré comme une avancée, n’offre que peu de protection aux couples homosexuels et à leur famille par rapport au mariage, à l’adoption et à la PMA qui leur restent interdits. De fait, l’État (qui régit nos vies avant qu’on ne l’anéantisse pour de bon) ose encore se réclamer des « droits de l’homme » et crée parallèlement une catégorie de sous-citoyens. Or, pour nous, l’égalité des droits et l’égalité des choix ne se discutent pas.

L’homophobie nuit à la santé
Sur le plan de la santé, une association de combat comme Act Up-Paris (soutenue cette année, durant l’Idaho, par la Fédération syndicale étudiante de Paris I), pour ne citer qu’elle, bénéficie aujourd’hui de plus de vingt années d’expertise scientifique et militante et n’a de cesse de démontrer que l’amélioration des conditions sanitaires des minorités sexuelles est directement corrélée à l’acquisition de droits. En effet, on ne peut nier qu’un lien existe entre la relégation des minorités à des droits de seconde zone, le climat général d’homophobie et la prévalence de l’épidémie de VIH-sida chez ces minorités. C’est l’absence d’égalité des droits pour les minorités qui est la meilleure alliée de la propagation de l’épidémie. C’est pourquoi, Idaho ou non, quelle que soit notre sexualité, il faut continuer à nous battre chaque jour pour que les discours de bonne intention se transforment en droits bien réels, pour que soient respectées les minorités dans tous leurs espaces de vie (au travail, dans la rue, à l’école, etc.). Non, l’Idaho n’est pas le signe d’un monde plus ouvert, il est au contraire le symptôme de la perpétuation de l’homophobie, des discussions de bistrot jusqu’aux rangs de l’Assemblée nationale ! Les députés et ministres n’ont pas leur mot à dire sur nos choix de vies !

Seule la lutte paye, tandis que l’homophobie tue !
À l’occasion de l’Idaho et pour la quinzième année consécutive, SOS Homophobie publie son rapport. Basé sur les centaines de témoignages que l’association reçoit chaque année sur sa ligne d’écoute et son site internet, elle constitue aujourd’hui la seule publication permettant de suivre, année après année, l’évolution de l’homophobie sur le territoire français. Alors que le nombre de témoignages stagnait depuis 2005 entre 1 200 et 1 300 par an, l’année passée marque un triste « record » : 1 500 témoignages ont été comptabilisés entre le 1er janvier et le 31 décembre 2010, soit quatre témoignages par jour ! Si elle ne signifie pas forcément que la haine des personnes LGBT augmente en France, cette hausse de près de 20 % permet une analyse plus fine des manifestations de l’homophobie et de la transphobie sur le territoire. Parmi les témoignages reçus en 2010, un appel sur cinq concerne des insultes, diffamations ou appels à la haine homophobes. Sur Internet, au-delà des sites extrémistes politiques et religieux, une large part des témoignages concerne les réseaux sociaux et les sites des grands médias. Certains articles abordant un sujet LGBT deviennent le théâtre d’un défoulement homophobe virulent où, derrière son écran, n’importe qui peut déverser sa haine.

Hausse des agressions dans les lieux publics
Autre fait notable : la part des témoignages concernant des agressions dans des lieux publics a considérablement augmenté cette année. Elle est passée de 108 cas signalés en 2009 à 154 cas en 2010 (+ 43 %), soit trois attaques dans des lieux publics par semaine ! Plus inquiétant encore : près d’un témoignage sur deux, dans ce contexte, rapporte une agression physique. C’est d’ailleurs ce qui ressort fortement du rapport de SOS Homophobie cette année : avec 125 cas signalés en 2010 contre 88 cas en 2009, le nombre d’atteintes à l’intégrité physique augmente de 42 % ! Autant d’éléments prouvant, si tant est qu’il faille encore le prouver, que l’homophobie sait être virulente encore aujourd’hui. Mais c’est bien l’homophobie quotidienne, sourde et pernicieuse qui constitue l’essentiel des témoignages reçus : insultes, rejet, harcèlement, discrimination, diffamation, et ce dans tous les contextes de la vie quotidienne (travail, voisinage, famille, milieu scolaire). Il s’agit d’une homophobie « ordinaire », souvent invisible et qui ne dit pas toujours son nom. Elle est destructrice sur le long terme, et les outils pour les victimes sont extrêmement réduits, faute de politiques de prévention d’envergure et de mise à disposition des acteurs de terrain, de véritables moyens d’action pour lutter contre l’homophobie et la transphobie.

Les crimes homophobes également en hausse dans le monde
Enfin, le jour de l’Idaho, Navi Pillay, haute commissaire aux droits de l’homme, a signalé que les statistiques officielles montrent que les crimes de haine contre les homosexuels représentent maintenant près de 20 % de tous les crimes de haine enregistrés aux États-Unis, contre 15 % il y a quelques années. Navi Pillay a également cité des chiffres inquiétants au Brésil, au Honduras ou en Afrique du Sud : « Le problème est mondial. Finalement l’homophobie et la transphobie ne diffèrent pas du sexisme, de la misogynie, du racisme ou de la xénophobie. Mais, alors que ces formes de préjudice sont universellement condamnées par les gouvernements, l’homophobie et la transphobie sont trop souvent sous-estimées », a-t-elle reconnu. Le droit international a déjà intégré le principe de non discrimination à cause de l’orientation de la sexualité ou du genre, puisqu’il y a dix-sept ans (!), le Comité des droits de l’homme a confirmé que « les États ont l’obligation de dépénaliser l’homosexualité et de protéger les individus contre la discrimination en raison de l’orientation sexuelle ». Pourtant, selon un rapport de la Fédération internationale des droits des LGBT et Amnesty International, l’homosexualité est toujours punie d’emprisonnement (de quelques mois à la perpétuité), de sévices corporels, de déportation ou de travaux forcés dans une soixantaine de pays dont : l’Algérie, le Bangladesh, le Botswana, le Cameroun, la Chine, la République démocratique du Congo, les Émirats arabes unis, l’Équateur, l’Éthiopie, les Fidji, le Guyana, la Jamaïque, le Kenya, la Libye, la Malaisie, le Maroc, le Mozambique, le Nicaragua, le Nigeria, Oman, l’Ouganda, le Pakistan, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Singapour, le Sri Lanka, la Syrie, la Tanzanie, le Togo, la Zambie et cette liste n’est hélas pas exhaustive… Que de luttes encore à mener ici et ailleurs !