Sondages et course aux élections : le renouveau du FN, symbole de la faillite de la démocratie représentative

mis en ligne le 17 mars 2011
1627RNSTDeux sondages de l’institut Harris Interactive publiés les 5 et 7 mars ont fait couler beaucoup d’encre et ont mobilisé nombre d’éditorialistes dans les différents médias. Selon ces enquêtes, avec 23 à 24 % d’intentions de vote, Marine Le Pen arriverait en tête du permier tour de l’élection présidentielle, devant Nicolas Sarkozy et l’un ou l’autre des probables candidats du Parti socialiste, Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry ou François Hollande. Quel que soit le candidat du PS, la candidate Front national conserverait la même réserve de voix.
Cette percée du FN semble surprendre le petit monde des médias. Pourtant, depuis quelques temps, on en a vu des signes avant-coureurs : ici un militant CGT qui devient candidat FN aux cantonales, là un ancien du NPA qui rejoint le parti des le Pen, et partout des journaux qui s’accordent à dire que Marine serait plus fréquentable, plus politiquement correcte, moins sulfureuse et surtout moins dangereuse que Jean-Marie. Petit à petit, des sondages montrent la bonne santé du FN et contribuent certainement à rassurer ses sympathisants, qui hésitent de moins en moins à lui déclarer leur soutien, et à convaincre les hésitants à la recherche d’une alternative politique.

De la valeur des sondages
Les sondages qui placent le Pen en tête des votes au premier tour de la présidentielle semblent avoir eu l’effet d’une bombe : les médias reprennent la nouvelle en boucle et la commentent jusqu’à l’écœurement. Ceci montre encore une fois l’intérêt maladif et malsain des journalistes pour les compétitions électorales dans ce qu’elles ont de plus trivial : la politique est apparentée à une course de chevaux, dans laquelle on surveille qui est devant, qui tient la corde, qui remonte ou se fait distancer. Les programmes, les idées défendues, n’intéressent pas les médiacrates. Or, comment faire un choix véritable entre des candidats lorsqu’on ne sait pas encore ce qu’ils proposent ? Pourquoi parler des candidats si l’on ne sait rien de ce qu’ils veulent mettre en place ?
Un an et deux mois avant la future élection présidentielle, on nous abreuve de sondages sur les intentions de vote, alors même qu’on ne sait pas encore qui sera candidat et donc encore moins quels programmes s’affronteront. Il faut donc prendre avec une extrême prudence les résultats de ces enquêtes. En 1995 et en 2002, quatorze mois avant l’élection, les sondages plaçaient en tête un candidat (respectivement Balladur et Jospin) qui finalement ne s’est même pas qualifié pour le second tour ! Ces sondages sont peut-être une photographie de l’opinion à un instant t, mais ils ne présagent en rien du vote de l’an prochain. Par ailleurs, si les sondages reposant sur des échantillons représentatifs de la population française ont une marge d’erreur très faible, il faut tenir compte des « redressements », ces corrections artificielles effectuées par les sondeurs pour faire correspondre le plus fidèlement possible les données récoltées à celles qui sont estimées les plus justes et les plus probables en fonction des statistiques passées. Ainsi, par exemple, le score du FN est toujours retouché, pour tenir compte du fait que les individus statistiquement les plus susceptibles de voter pour lui hésitent parfois à le dire aux sondeurs. Après ces tripatouillages, qui peut dire si le résultat obtenu est véritablement fidèle aux positions politiques de la population nationale dans son ensemble ? On constate bien souvent qu’un même sondage réalisé par deux instituts dans la même période donne des résultats sensiblement différents. Que penser par conséquent des chiffres de l’institut Harris ? Le Pen pourrait bien en réalité recueillir l’assentiment de 28 % des Français en âge de voter, mais aussi peut-être de 20 % ou moins. Ce qui est sûr, quel que soit le score effectif, c’est que le FN séduit beaucoup de monde. Beaucoup trop.

Misère et exploitation, du pain béni pour le FN
La faute à qui ? à droite, François Fillon rejette la responsabilité sur le PS, qui selon lui critique la droite de façon odieuse. Ce serait donc l’attitude de l’opposition qui favoriserait l’extrême droite… La gauche s’en défend. Martine Aubry, à la tête du PS, accuse Sarkozy de faire monter le FN en attisant les peurs, peur de l’insécurité et des immigrés. Il est facile de rejeter la faute sur le camp d’en face, mais il s’agit là d’analyses simplistes d’une véritable crise de la démocratie représentative qui s’exprime dans le choix du FN par une large frange de la population. L’ensemble des partis de gouvernement porte la responsabilité de cette lepénisation des esprits.
Certes, le succès du FN a des causes multiples. Pour certains électeurs, probablement minoritaires, il s’agit d’un vote purement « protestataire », destiné à envoyer à la classe politique un « signal », à montrer son mécontentement face à l’offre électorale et à la situation sociale et économique. Ces électeurs ne seraient pas nécessairement prêts à voter le Pen au second tour si elle était qualifiée. Mais on peut craindre que, pour beaucoup, le vote FN au second tour soit sérieusement envisagé. Ceux-ci sont-ils tous racistes et fascisants, ou simplement égarés dans un paysage politique consternant ? Le FN a son lot d’électeurs nostalgiques des solutions autoritaires, et franchement intolérants à l’égard des étrangers, des musulmans, des homosexuels, etc. Mais pour beaucoup, c’est l’indifférenciation du PS et de l’UMP qui conduit à chercher une solution dans un parti qui n’a jamais gouverné mais qui semble aujourd’hui en mesure d’accéder au pouvoir.
La thématique de l’immigration mise en avant depuis des années par le FN – et largement reprise par l’UMP – continue à porter ses fruits dans un pays rongé par le sous-emploi, et ce sera peut-être le cas jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’une immigration zéro ne met fin ni au chômage, ni à la précarité et la misère. L’adhésion au projet de sortie de l’Union européenne et de retour au franc, autre thématique frontiste, montre le désespoir de nombreux électeurs face à un niveau de vie qui régresse et face à une Europe qui prône le démantèlement des services publics au nom d’une concurrence censée permettre plus d’efficacité.
Dans le vote FN, s’il y a bien sûr une partie non négligeable d’affirmations racistes et d’aspirations autoritaires, il y a donc aussi l’expression du désespoir causé par une société qui broie l’individu et par des vies passées à travailler plus pour gagner presque rien. Voter FN, c’est alors aussi crier son sentiment d’injustice lorsqu’une minorité de patrons et d’actionnaires se gave, faisant d’autant plus de profits qu’elle aura réussi à réduire les « masses salariales » et à remettre en cause les acquis sociaux. C’est croire en la capacité d’un acteur politique qui n’a pas encore exercé le pouvoir de faire mieux que les gouvernants passés.

L’impasse de la démocratie représentative
La droite est responsable de ce désespoir, par son hystérie sécuritaire et anti-immigrés, ainsi que par sa politique libérale favorable aux industriels et aux grandes fortunes, au détriment des salariés et des plus faibles. Et la gauche de gouvernement est encore plus responsable, par son abandon des classes populaires, son adhésion au système capitaliste basé sur la propriété privée et l’accumulation du profit, et son ralliement au libéralisme. Elle ne peut plus prétendre représenter une alternative, car elle se contente de gérer la misère en en cachant les aspects les plus criants. Voilà des années que les « socialistes » ont renoncé à changer la vie et préféré simplement édulcorer la barbarie capitaliste.
L’avenir semble sombre. Bien que largement impopulaire, Sarkozy a de bonnes chances d’être reconduit à la présidence de la République en 2012. Nul doute qu’il espère un nouveau 21 avril 2002 : se retrouver au second tour face à Le Pen lui assurerait la réélection. Pour cela, il va tenter de susciter et de profiter de l’habituelle division de la gauche, tout en essayant d’empêcher toute concurrence à droite (Hervé Morin, Jean-Louis Borloo, Dominique de Villepin, etc.). Il a déjà commencé à mettre la pression sur ses éventuels adversaires ou à essayer de les rallier à sa candidature, et il est probable qu’il parvienne à rassembler son camp. À gauche, il est difficile de croire que Jean-Luc Mélanchon ou un candidat trotskiste pourraient se retirer au profit d’un candidat PS qui ne manquera pas d’être un adepte du social-libéralisme. La présence de la gauche au second tour est donc tout sauf certaine. Mais quand bien même le candidat PS finirait-il à l’Élysée, que peut-on espérer ? Un peu moins de brutalité peut-être, un peu plus de libertés éventuellement, mais rien d’autre.
Ce constat tend, encore une fois, à prouver la justesse des positions des anarchistes, qui refusent avec obstination de se plier au rite électoral qui finit par affadir toutes les convictions, et par perdre les plus idéalistes dans les jeux d’alliances et les luttes de pouvoir. Avec le système représentatif, la politique est devenue un métier auquel on se consacre exclusivement, et elle s’est par conséquent déconnectée de la vie réelle. L’élection finit par devenir une fin en soi, et plus un moyen pour améliorer l’existence de ses concitoyens.
Tant qu’on sera face à un système représentatif qui prive les individus de la gestion de leur vie, des mouvements fascisants pourront toujours prospérer. Parce que ceux-ci offrent aux frustrations des solutions simplistes et démagogiques, laissant croire au rôle éminent d’hommes (ou de femmes) providentiel[le]s. Mais aussi parce que continuera de prospérer ce système capitaliste basé sur les inégalités et l’exploitation. On n’obtiendra pas l’autogestion par la voie des urnes. Chaque élection qui passe montre un peu plus que changer le monde passe par la révolution ; en confier la tâche à des représentants signifie immanquablement finir trahi et déçu. En outre, lutter contre le FN par les urnes n’a guère de sens : le parti des le Pen n’a a priori aucune chance d’arriver au pouvoir, et voter pour la gauche n’apportera pas de changement significatif d’un point de vue économique et social, ce qui ne pourra que renforcer dans le futur les aspirations fascisantes des déçus du système. C’est donc seulement par un changement radical de système social et économique, permettant une gestion directe de la société par toutes et tous, qu’on pourra lutter contre la misère, le désespoir et l’ignorance, sources de tous les fascismes.

Romain Constant