Deuxième Rafale

mis en ligne le 24 septembre 2009
Serge Dassault (84 ans) a vu rejetée, par le Conseil d’État le 7 septembre, la requête en révision qu’il avait déposée contre l’annulation des élections municipales de 2008, à Corbeil-Essonnes. Ancien maire UMP depuis deux mandats, il est accusé par plusieurs témoignages de « dons d’argent » aux électeurs pour qu’ils votent pour lui. Il ne faisait qu’appliquer les recettes brevetées de son père Marcel Dassault, qui achetait chaque bulletin 100 francs et qui était régulièrement réélu député gaulliste de l’Oise. De nouvelles mascarades électorales doivent se tenir à Corbeil, les 27 septembre et 4 octobre prochains.
Coïncidence ou consolation pour le prévaricateur ? Ce même jour, Nicolas Sarkozy, dont l’élection à la farce présidentielle du 6 mai 2007 doit tant aux « dons » de la famille Dassault et aux médias qu’elle contrôle, arrache toutes dents dehors une promesse de contrat d’armement au Brésil pour son sponsor.
Ce pays, célèbre notamment pour le carnaval de Rio, la forêt amazonienne qui part en fumée ou le fameux café (servi très chaud, très fort, très sucré) qui servit de combustible aux locomotives pendant la crise de 1929, est le géant de l’Amérique du Sud avec 8,5 millions de kms – soit 17 fois la France – pour 191 millions d’habitants.
Il s’agit d’une république fédérale de 24 États, 3 territoires et un district fédéral, regroupant une des populations les plus métissées du monde (indiens, blancs, noirs, asiatiques…), qui s’accroît rapidement, en développant d’extrêmes disparités de revenus. Cela ne se reflète pas dans le PIB de 1 314 milliards de dollars (soit le dixième mondial).
La moitié de la population ne dort pas parce qu’elle souffre de la faim dans d’immondes favelas. L’autre moitié est aussi insomniaque dans ses luxueux logements avec gardiens armés, mais par peur des cambriolages, violences et meurtres. Une insécurité organisée, comme partout, permet de justifier des forces de répression pléthoriques alors que la misère se développe.
À signaler toutefois un intéressant référendum proposé par le président Lula, le 23 octobre 2005, pour interdire les armes à feu (dramatisé par l’extrême droite et par le lobby sécuritaire, le non l’emporta à 64 %).
Autre originalité, si le Brésil peut fabriquer la bombe H (ce que confirme avec tact Le Figaro du 6 septembre 2009), ses dirigeants actuels entendent respecter le traité de non prolifération (TNP) qu’ils ont signé.
L’ancienne colonie portugaise (1532-1822), toujours de langue lusophone, a subi de longues dictatures militaires. Le dernier coup d’État des généraux date de 1964 et les criminels de masse (Castello, Branco, Costa e Silva, Medici, Geisel, Figueiredo) se succédèrent au pouvoir jusqu’en 1985.
Les soldats brésiliens sont présents sur la base antarctique Comandante Ferraz et, depuis 2004, dirigent la Minustah (6 000 hommes de la force de stabilisation de l’ONU en Haïti).
Avec 287 000 soldats en activité et un budget officiel de 10 milliards de dollars (soit six fois moins que les militaires français) les industriels brésiliens ont réussi à hisser leur pays parmi les sept premiers exportateurs mondiaux d’armes (souvent peu sophistiquées et à prix abordable).
En juin 2010, au salon Eurosatory (Paris- Nord-Villepinte), plus d’une dizaine de société brésilienne sont attendues pour la grande foire des marchands d’armes. Seront-ils parmi les invités du banquet de mille couverts offert par le Groupement des charognards français, le mardi 22 juin au musée du Louvre ?

Françamérique
En 1964, la France, au grand dam de sa soldatesque, était dégagée depuis deux ans de la « pacification » des territoires algériens, tout en conservant la jouissance du site atomique de Reggane, au Sahara.
À l’instar du général Paul Aussaresses ou du colonel Robert Trinquier, l’armée française exportait alors son modèle de la guerre anti-insurrectionnelle, notamment par des cours à Fort Benning ou Fort Bragg (hauts lieux de la formation de tortionnaires lors de la guerre entre les États-Unis et le Vietnam).
Entre 1946 et 1994, à l’école des Amériques au Panama (rebaptisée depuis en « institut des hémisphères » et rapatriée en Géorgie) ont été formés par le Pentagone et la CIA plus de 60 000 officiers des armées d’Amérique latine. C’est là qu’ont vu le jour les plans les plus fous (CONDOR, COLOMBIA, etc.) pour ancrer le fantasme d’un ennemi omniprésent, et qu’ont été suscitées de nombreuses guérillas, afin de donner corps à la lutte contre la subversion.
Les complots militaires aboutissent aux dictatures au Paraguay (général Stroessner de 1954 à 1989), Brésil (1964-1985), Bolivie (1971-1982), Uruguay (1972-1985), Chili (1973-1989), Pérou (1975-1980), Équateur (1976-1979), Argentine (1976-1982), etc.
Les escadrons de la mort y sont lancés au Guatemala en 1966. La technique terroriste des disparitions (empêchant tout deuil) se répandra ensuite dans les régimes brutaux de la planète.
Des machines à réprimer, comme la Dina (Chili) ou l’Esma (Argentine) y ont été conçues, ainsi que d’autres centres clandestins de détention et de torture pour de prétendus militants marxistes, gauchistes ou pire, anarchistes.
La doctrine de la Sécurité nationale, institutionnalisation de la violence contre des civils, a trouvé ses formulations dans ce bouillonnement de paranoïa militariste.
La haute école de torture brésilienne doit beaucoup aux coopérants militaires français, qui depuis 1964 conseillaient et formaient les responsables du renseignement au Brésil (et d’autres dictatures d’Amérique latine).
Le film La Bataille d’Alger faisait un tabac dans ces milieux déshumanisés, en illustrant la lutte contre le communisme ainsi que l’obtention d’aveux et d’informations par la terreur.
Les traditions de confiante collaboration existent donc depuis quarante cinq ans entre les tueurs en uniforme de France et du Brésil et leurs commis munitionnaires, trempant dans les plus louches trafics d’armes en transit par Cayenne.

Avion pourri
Conçu dans les années quatre-vingts par le groupe Marcel Dassault, cet avion de combat multirôle devait remplacer au moins sept types différents d’avions de guerre (chasseur, intercepteur, bombardier traditionnel ou nucléaire, reconnaissance etc.).
Or, il se trouvait déjà dépassé, même s’il peut voler à Mach 1,8 (premier essai en 1986), car les missiles téléguidés sol-air détruisent aisément ce tas de ferraille de dix tonnes à vide. Il n’avait donc jamais été exporté jusqu’à présent.
L’armée de l’air, consciente des dérives pharamineuses du coût de ce gadget inutile et des incidences sur les soldes futures, ne consent à en commander 294 exemplaires (à peine 80 ont été livrés en bientôt trente ans) que sous l’incessante pression des hommes politiques fabriqués par les médias Dassault, majoritaires à l’Assemblée nationale.
Chaque appareil est acheté par le ministère de la Défense au prix d’ami de 50 millions d’euros, soit le coût de 500 logements à loyer modéré.
Par contre, pour le Brésil, les 36 Rafale reviendront, paraît-il, à 5 milliards d’euros (soit 139 millions l’unité). Prix surprenant par rapport à ses concurrents (le Gripen de Saab et le FA18 de Boeing), d’autant plus qu’il sera partiellement fabriqué et assemblé sur place, en assurant des transferts de technologie appréciables pour ce pays émergeant.
Comme dans tous les contrats d’armement, secteur le plus corrompu de l’économie de marché, des « compensations » sont accordées à l’acheteur. En l’occurrence la France s’engage à acheter une dizaine d’avions de transport militaire KC-390 (sic), pour un montant non précisé.
De plus, quatre sous-marins d’attaque Scorpène vont être livrés à la marine de guerre du Brésil, ainsi qu’une coque pour un sous-marin à propulsion nucléaire, selon un accord déjà conclu depuis décembre 2008.
Ainsi, l’annonce triomphale de ce précontrat pour le groupe Dassault risque fort de s’avérer ruineux pour le budget français : à l’instar des Mirages vendus au régime des colonels grecs (1967-1974) contre des raisins de Corinthe et des séjours touristiques sur les côtes hellènes, l’addition n’a pas fini d’être payée par les contribuables…

René Burget