Galice : réappropriation de la Ría

mis en ligne le 30 juin 2010
1602GaliceLe samedi 5 juin, une marche s’est déroulée depuis les villes de Pontevedra et de Marin (province de Pontevedra, Galice, Espagne). Organisée par l’association Pola Defensa de Ría, cette marche avait pour objectif de demander le déplacement de Ence (Empressa Nacional de Celulosa), entreprise nationale de cellulose.
La Ría de Pontevedra correspond à la vaste embouchure du fleuve Lérez, avec de part et d’autre plusieurs petites montagnes de granite, le tout formant un paysage magnifique. Sur la rive droite du fleuve, le long de la route à deux fois deux voies qui relie Pontevedra à Marín, s’est implantée une usine de fabrication de cellulose en 1973-1974, sur des terrains concédés en 1957. Depuis lors, cette usine a conduit, petit à petit, à une pollution directe microbienne et chimique importante du fleuve, notamment par des métaux lourds et du chlore, employé pour le blanchiment de la pâte à papier. Au final, les élevages de moules, tels qu’on peut les voir implantés sur des plateformes au milieu de la Ría de Vigo, ne sont pas possibles ici, tant le risque de contamination est important. Cette usine a donc sinistré tout un pan de l’économie galicienne, c’est-à-dire la pêche, en empêchant l’installation de jeunes pêcheurs dans ce secteur côtier. Elle a, par aillleurs, conduit à une pollution insidieuse de toute la Galice par la création de nouvelles forêts d’eucalyptus, plante exogène, devenue particulièrement envahissante, mais appréciée des producteurs pour sa croissance rapide, permettant d’alimenter plus fortement l’usine Ence. L’ensemble des essences de bois, rencontrées traditionnellement en Galice (chêne, châtaigniers), en pâtit et la suspicion demeure quant à l’origine des grands incendies qui ont noirci le ciel de cette région en 2006. En effet, les forêts détruites ont pu être alors replantées d’eucalyptus.
L’usine Ence a été condamnée pour délit écologique pour ses pollutions en 2006. En vertu de la ley de costas de 1988, elle a été mise en demeure de déménager du littoral. En effet, cette loi est un peu l’équivalent de la loi littorale française et interdit toute construction de ce type sur la côte. L’ultimatum du déménagement expire pour l’année 2018. Toutefois, récemment, cette usine a reçu l’autorisation de la Xunta de Galicia (gouvernement autonome de Galice, actuellement entre les mains du Partido Popular, la droite) d’installer une plateforme de biomasse coûteuse et un tel investissement apparaît contradictoire avec un déménagement dans huit ans ! Ces contradictions entre la loi et la concession provenant des autorités administratives galiciennes jettent le doute chez les manifestants que ce déménagement ait bien lieu. En fait, ils s’attendent à ce que l’usine reçoive une nouvelle concession d’exploitation, l’échéance passée. Par ailleurs, la population locale est assez divisée sur cette question de déménagement, notamment par la peur que les 250 emplois de l’usine ne soient pas préservés. Mais, on est en droit de se demander combien d’emplois liés à la pêche ont été sacrifiés par la présence de l’usine.
La marche a débuté à 19 h 30 depuis les centres-villes de Pontevedra et de Marín. Ce sont près de 3 000 personnes qui ont défilé dans le calme. Aucun slogan n’a été scandé au cours du parcours. L’encadrement policier était discret : outre la garde civile et la police locale, la police nationale attendait les manifestants devant la porte de l’usine, quatre mini-bus pour une vingtaine de policiers. Les manifestants étaient venus en famille, avec les enfants. Certaines personnes avaient choisies de faire la route à vélo. Seul, le sens Marín-Pontevedra de la route à deux fois deux voies avait été immobilisé par la police. Arrivée devant l’entrée de l’usine, les manifestants se sont regroupés autour d’une place où deux orateurs ont pris la parole pour exposer la revendication de cette marche, c’est-à-dire la fin immédiate et définitive de l’activité de l’usine à cet endroit, son déménagement, ainsi que la remise en état de la ría.
Cet événement est organisé chaque année par l’association Pola Defensa de Ría. Il s’agit d’une organisation écologiste, créée en 1987, rassemblant quelque 500 adhérents. Elle revendique un modèle de développement soutenable, basé sur une utilisation rationnelle des ressources, notamment maritime et forestière et un tourisme raisonnable, non un tourisme de masse. Depuis 2002, elle est adhérente de la plateforme civile Nunca Maís, mise en place après la marée noire catastrophique du Prestige. Parmi ses actions, elle s’oppose aux modifications prévues du port de Marín, à la création d’un autre port à Bueu et réclame le déplacement de l’usine Ence.

Le meeting de fin de manifestation
Parmi les organisations y participant, les syndicats CGT et CNT avaient chacun leur cortège et leurs banderoles. Parmi les organisations politiques, la gauche galicienne était présente. Le Bloque Nacionalista Galego (BNG) est le principal parti de gauche nationaliste et indépendantiste de Galice, depuis 1960, proche du PSOE (Parti Socialiste) de J. L. Zappatero avec lequel il a formé une coalition pour diriger la communauté autonome au cours du dernier mandat. Les Verde sont l’émanation du mouvement européen dont sont aussi issus les Verts français. Nós-Unidade Popular (Nous – Unité Populaire) est issue, elle, du regroupement de diverses organisations (Assembleia da Mocidade). Son idéologie allie marxisme, indépendantisme et eurosceptisme. Par certains côtés, elle apparaît assez proche du NPA français.

Les Xuventudes Libertarias Do Morrazo
Outre la CNT, les anarchistes étaient représentées par le jeune groupe Xuventudes Libertarias Do Morrazo (XLM, Jeunesses Libertaires de Morrazo). Ce groupe, créé à la fin de mai 2010, regroupe la jeunesse anarchiste et punk du comarca (division administrative espagnole pouvant se traduire par comté en français, mais sans véritable équivalent) de Morrazo, jusqu’alors désunie, mais se retrouvant à l’occasion de diverses manifestations. Regroupant maintenant quelque 50 jeunes, ils s’impliquent dans les luttes locales (comme celle pour la défense de la Ría) et dans l’occupation de squats. Après contact avec la Federación Anarquista Ibérica, ils cherchent à s’impliquer de plus en plus fortement dans les luttes locales, afin de la rejoindre, une fois leur existence locale bien établie.
Au final, cette marche est considérée par les organisateurs comme un véritable succès : espérons qu’elle aboutira à la victoire et au déménagement définitif de cette usine de la Ría pour s’installer dans un environnement moins fragile et avec des équipements de recyclage réellement satisfaisants. Elle apparaît aussi un succès pour XLM, qui est apparu bien visible avec une dizaine de militants, des slogans (en galicien), des drapeaux noirs et une banderole. Avec un tel enthousiasme, gageons que leur avenir est assuré et souhaitons leur des luttes victorieuse.

Gwenolé Kerdivel, groupe La Sociale (Rennes), envoyé spécial en Galice
Avec la complicité d’Alicia