La marche contre le blocus de Gaza

mis en ligne le 21 janvier 2010
L’offensive israélienne dite « Plomb durci » de décembre 2008-janvier 2009 contre la bande de Gaza a fait 1 400 tués chez les Palestiniens (des civils, des femmes et des enfants) et 13 tués chez les Israéliens dont 3 civils. Depuis, ce territoire, libéré de ses colons israéliens, est soumis à un sévère blocus avec pour seule respiration les tunnels de contrebande de Rafah, ville-frontière égyptienne qui s’ouvre de temps à autre à l’aide humanitaire. Les seuls points de passage au nord et à l’est sont sous contrôle israélien.
Quels que soient les enchaînements de responsabilités, il est nécessaire de garder à l’esprit le contexte d’expansion coloniale d’Israël sur les territoires palestiniens, cela malgré un cadre juridique international fixé depuis 1948.
La Cisjordanie de son côté se voit morcelée, enserrée d’un mur, soumise à des successions de check-points et pillée de ses points d’eau.
À l’ouest, la Méditerranée est surveillée par des garde-côtes israéliens.
Après l’opération « Plomb durci », diverses associations ont réussi à acheminer de l’aide humanitaire. Ces actions pour briser le blocus ont donné l’idée à Code Pink, une ONG américaine, d’organiser une marche et d’inviter les mouvements du monde entier à converger vers Gaza. En France, deux collectifs ont répondu à l’initiative : la Coordination des comités européens pour la Palestine (ECCP) et CAPJPO-Europalestine. Mon choix s’est porté sur ce dernier groupe après une solidarité sans faille face à des situations de répression lors de précédentes campagnes pour le boycott des produits israéliens.
C’est donc contre cette situation intolérable par son intensité et sa durée que plus de 1 400 citoyens de 42 pays se sont retrouvés au Caire, pour rejoindre Gaza, pendant que quelques centaines se regroupaient à Jérusalem. L’objectif était que les « Égyptiens » entrent dans la bande de Gaza lors d’une marche symbolique, tandis que le même jour, 31 décembre 2009, les « Israéliens » feraient une marche depuis Jérusalem vers le poste frontière d’Eretz. Du côté des « Israéliens », il faut évidemment noter la participation des Anarchistes contre le mur avec la Coalition des Palestiniens d’Israël (Ittijah), malheureusement nous ne pument nous rejoindre et ce beau programme a fait long feu par la volonté des autorités égyptiennes, israéliennes, américaines, françaises, etc.
Le dimanche 27 décembre, notre groupe de 300 Français avait donc rendez-vous à 19 h devant l’ambassade de France au Caire pour monter dans des bus dont la réservation avait été payée avant notre départ de France ; la compagnie de bus ayant fait état de suppression de son accréditation, elle demandait la caution de l’ambassade de France. À 23 h, nous apprenons que les bus ne partaient plus et que la compagnie ne voulait pas rembourser. Des discussions ne changeant rien à la situation, à minuit, tout le monde se précipite sur la chaussée et bloque la « 2 x 4 voies », la grande artère face à l’ambassade de France.
Cette transgression collective de la légalité fut un des actes fondateurs du collectif qui tiendra liés les « marcheurs » pendant cinq jours. D’autres, soucieux de légalité, se retrouvèrent pour se rendre à Gaza avec le Croissant rouge sous l’effigie de Mme Moubarak, l’épouse du président.
Pour notre collectif, la réponse a été sans ambiguïté : « Nous étions venus ensemble, c’était tous ou personne. »
Ce blocage dans la rue, moment de tension, durera trois heures, jusqu’à l’arrivée des canons à eau et des premières sommations en français des autorités égyptiennes. On se retrouve alors sur le trottoir, regroupés derrière des barrières de sécurité, surveillés par des appelés du contingent avec qui nous avons fini par fraterniser quand leurs chefs tournaient le dos. Des appelés encore plus mal lotis que nous : Pas de lacets aux brodequins, boutons arrachés, pas de sous-vêtements sous l’uniforme, mais surtout mal nourris (quelques-uns sont tombés dans les pommes pendant qu’ils nous gardaient) ; nous avons pu partager avec eux nos fruits, notre eau, etc.
Contenus sur ce trottoir, le flot de la circulation a repris chargeant l’air de pollution urbaine et de sable. Puis nous avons alors sorti nos duvets pour essayer de dormir.
Très vite, le problème a été l’hygiène de 300 personnes retenues sur une étroite portion de trottoir. L’ambassade de France a fini par nous ouvrir les portes d’un unique WC ; avec des attentes de deux heures et pouvoir passer par groupe de quatre.
Ce régime de faveur a connu un durcissement quand un Belge a tenté de s’ouvrir les veines dans l’ambassade. La mesure de rétorsion ne se fit pas attendre (seuls les Français ont le droit de se suicider dans l’ambassade). Notre accès à l’unique toilette fut alors soumis à présentation du passeport français. Après manifestation, le régime a fini par s’assouplir, avec l’ouverture de 2 WC supplémentaires en sous-sol, puis l’installation de 4 sanisettes dans le jardin.
Plusieurs mois avant le départ, des stages avaient été organisées avec Xavier Renou et les « désobéissants » ; une charte de non-violence et de désobéissance civile d’un fonctionnement totalement démocratique devait être signée par chaque participant.
Sur notre campement, après les hésitations du premier jour, la nourriture était achetée collectivement et redistribuée en fonction des besoins. Nous n’avons pas manqué de nourriture. Les achats se faisaient par échange au travers du mur policier ; par la suite en négociant les entrées et les sorties ; et enfin librement.
On le voit, la vie au quotidien nous a pris beaucoup d’énergie mais nous avons tenu. Notre campement « décoré » de banderoles, de drapeaux, nous avons manifesté, chanté, lancé des slogans, crié notre union qui nous a fait accepter des conditions à la limite de la dignité humaine.
Notre résistance testée à sa juste valeur, le gouvernement égyptien a assoupli le dispositif, laissant à une extrémité du campement un passage fréquemment ouvert.
Ainsi, nous avons pu sortir et participer à quelques actions menées par d’autres internationaux : rassemblement devant le siège de l’ONU où commençait une grève de la faim menée par des juifs américains comme Hedi Epstein, rescapée des camps ; rassemblement au syndicat des journalistes contre l’empêchement qui leur était fait de nous approcher.
Des initiatives sont aussi parties de notre campement : l’organisation d’un marathon par le doyen de 82 ans et des plus jeunes, avec les T-shirts verts « Palestine vivra – Boycott Israël » ; décoration d’une des pyramides de Gizeh avec un immense drapeau palestinien hissé par huit personnes et resté dix minutes en place, le temps de la photo.
Tentative a été faite d’une marche le 31 décembre au Caire. Nous n’avons pas fait 20 mètres ; à peine partis, nous étions encerclés, bousculés, en premier les caméramen : il ne fallait pas montrer d’images sur ce qui se passait au Caire.
Quelques internationaux avaient choisi les techniques de résistance non violente de base, à savoir le sit-in (assis, la pression sur l’adversaire est moins forte et si l’on risque de se faire piétiner, on est plus difficile à déloger). Les premiers délogés ont d’ailleurs été ceux qui étaient restés debout. Les personnes assises s’étaient accrochées par les bras, faisant une sorte de chaîne humaine que la police défera lentement. Enfin, plus expérimentés, plus motivés, les cinq derniers assis étaient noués, bras et jambes emmêlés. C’est pourtant sans ménagement que la police les balancera sur le trottoir par-dessus la rambarde. Il y eut quelques coups de poing policiers, une épaule démise, des côtes cassées, probablement écrasées sous une barrière de sécurité renversée ; j’ai vu un appareil photo arraché des mains d’une personne âgée et qui photographiait les scènes de répression.
Contingentés de nouveau sur le trottoir, après slogans, chants, déploiements de banderoles, nous avons pu improviser un meeting avec prise de parole des délégations françaises, américaines, écossaises, italiennes, indiennes, palestiniennes, japonaises, africaines du sud, canadiennes, philippines, anglaises, espagnoles, grecques, jordaniennes, etc., et parfois des traductions. Six heures plus tard, le rassemblement des internationaux se dispersa définitivement.
J’ai surtout remarqué la grande banderole du COSATU, syndicat sud-africain, rappelant la phrase de Mandela disant que les Africains du Sud ne seraient vraiment libres que lorsque les Palestiniens seraient libres. Ce fut aussi un incessant appel à amplifier à l’échelle du monde le boycott des produits israéliens.
Il faut savoir que plusieurs délégations américaines et franco-canadiennes retenues manifestèrent devant leur hôtel toute une matinée avec une banderole.
Nous avons fait une dernière assemblée générale de bilan avant le départ et le rangement du camp « afin qu’une image d’un trottoir laissée dégueulasse ne soit pas utilisée pour dénigrer encore plus notre mouvement ».
Cela fut aussi l’occasion d’appeler à soutenir Sakina, la militante de Bordeaux poursuivie pour avoir apposé deux autocollants appelant au boycott et poursuivie pour « provocation à la discrimination nationale, religieuse et raciale » au prétexte que le boycott porterait tort à des travailleurs israéliens 1.
Cette réunion internationale du Caire a débouché sur un appel international pour renforcer le boycott partout dans le monde, appelant à une tournée mondiale de syndicalistes sud-africains et de syndicalistes palestiniens relayés par les syndicalistes des pays traversés.
Notre avion a décollé le samedi 2 janvier ; nous laissions le monde inchangé derrière nous, mais en ayant témoigné d’une volonté de solidarité au-delà des frontières nationales, religieuses ou « raciales ».
Pourquoi le gouvernement égyptien nous a-t-il bloqués au Caire, endroit où nous avions des moyens de communiquer avec le monde entier ?
Pour que nous dépensions nos devises au Caire plutôt qu’à Gaza ?
Ont-ils été surpris pas notre détermination ?
Notre présence pouvait-elle apparaître comme une opportunité ?
Il faut dire l’importance, médiatiquement, du campement devant l’ambassade de France, par sa durée, par son dynamisme, son nombre, sa diversité : jeunes musulmans, certains à la casquette à l’envers, vieux militants catholiques, athées convaincus, syndicalistes, sportifs, chanteurs et musiciens, enseignants, un astrophysicien, un évêque sans territoire, un candidat politique, une sénatrice, des militants de l’action directe non violente, des anarchistes même. Beaucoup de vidéos ont pu être faites et n’ont cessé de tourner sur le net.
Bien sûr, tout n’a pas été rose. La promiscuité, la difficulté à échanger à cause du bruit, la distance d’un bout du campement tout en longueur à l’autre, parfois des informations n’ont pas été relayées ou pas entendues. Donc, il y a eu des engueulades, des cris. Il y a eu aussi des pratiques paranoïaques, des rejets de personnes prises pour des flics, des inquiétudes sur la quantité de nourriture. Mais, il y a eu la volonté de mettre en œuvre des pratiques de démocratie directe, en tout cas de débat collectif, et de faire vivre la solidarité au-delà des frontières, de toutes les frontières.
Un petit bout de l’internationalisme qui se cherche depuis de siècles ? ! Un petit souffle d’espoir, tout petit mais si vital que nous ne devons pas le laisser se tarir. C’est aussi en nous attachant à ces interstices du monde où se développe la vie, que nous, anarchistes, pouvons participer à changer le monde.
Un peu « nous ne sommes rien, soyons tout ! »

1. Procès le 13 janvier. Signez la pétition de soutien sur www.mesopinions.com.