Chronique d’une catastrophe avortée

mis en ligne le 21 janvier 2010
L’épidémie de grippe dernier cru (A/H1N1) est officiellement terminée. En seize semaines, elle a touché environ 5 millions de personnes en France, tuant 240 personnes, soit 15 à 20 fois moins que lors des épidémies de grippe des années précédentes. Pourtant, quelque 2 milliards d’euros ont été engagés dans cette campagne de vaccination sans précédent, pour un résultat des plus modestes : environ 4 millions de personnes vaccinées (7 % de la population). Pourquoi un tel fiasco ? Et pourquoi un tel alarmisme ? Quand apparaissent les premiers cas de ce qui semble une nouvelle variante de la grippe en mars et avril 2009, au Mexique et très vite aux États-Unis, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) décrète qu’il s’agit d’une pandémie : à ce moment-là, la définition officiellement admise de ce terme tient compte de la gravité avérée de la maladie : puis, vers le mois de mai, on modifie cette définition, en ne retenant plus que le caractère de diffusion simultanée de la maladie dans des pays non frontaliers. Exit la mortalité. Car on s’aperçoit assez rapidement que cette grippe, qu’on a d’abord baptisée « mexicaine », puis « porcine », puis du nom plus savant « A/H1N1pdm », est moins grave que ce qu’on pensait. En tout cas, beaucoup moins mortelle que la redoutée grippe « aviaire » (de son nom savant H5N1), qui sévit de manière sporadique en Asie du Sud-Est. Pourquoi cette redéfinition ? Et pourquoi la mise en niveau 6 du plan pandémie grippale au niveau mondial ? En France, on en restera au niveau 5B. Dès le début de l’épidémie, on avait activé le plan qui initialement avait été élaboré en 2005, dans la perspective de l’émergence d’une pandémie de grippe aviaire : stockage massif de masques et de médicament antiviraux (le désormais célèbre Tamiflu), lancement des chaines de production de vaccins et précommande par les états de ces vaccins. Ils seront fabriqués en un temps record, très vite, et très mal testés, et obtiendront l’autorisation de commercialisation dans des délais inusités en temps normal. Mais c’est la menace d’une catastrophe : des « experts » prédisent à la fin de l’été 96 000 morts en France ! Mais les chiffres venant de l’hémisphère sud, qui est en hiver durant notre été, viennent démentir cette vision d’apocalypse : il y a moins de morts que durant les saisons de grippe habituelles… Qu’à cela ne tienne : le gouvernement français, qui s’appuie sur les recommandations des « experts » de l’OMS, et des « experts » français, décide de commander 94 millions de doses de vaccins (10 % de la production mondiale !), tablant sur un schéma de vaccination à deux injections et sur la mobilisation de toute la population. Les laboratoires pharmaceutiques se frottent les mains, leurs actions en bourse atteignent des sommets. Un plan média est lancé, fait de message de prévention, plutôt bienvenu (lavez-vous les mains, efficace et pas cher), et de catastrophisme : on annonce en une les décès de jeunes patients, on attise la peur pour inciter les foules à se faire vacciner dans des centres ad hoc, par du personnel réquisitionné : l’organisation de ces « vaccinodromes », comme on va les appeler dans le milieu médical, est piloté par le ministère de l’Intérieur, qui est le vrai patron de la cellule intergouvernementale de crise mise en place à l’occasion de la « pandémie ». Malgré les appels réitérés de la ministre Roselyne Bachelot, qui a superbement ignoré et méprisé les médecins généralistes, la campagne de vaccination est un fiasco, au regard des moyens engagés. Un calcul rapide permet de chiffrer la dépense à 488 euros par personne vaccinée ! Alors que tous les ans les médecins généralistes vaccinent leurs patients les plus à risque sans problème, cette année ils ont été mis sur la touche, révélant par là même le peu d’estime dans laquelle ils sont tenus par les « experts » gouvernementaux et la ministre… Au final, on se retrouve avec un stock énorme de Tamiflu (30 % des stocks mondiaux), qui arrive bientôt à péremption : la Direction générale de la santé a demandé récemment aux médecins de le prescrire devant toute atteinte ressemblant de près ou de loin à un syndrome grippal, au mépris des données scientifiques et de la sécurité des patients. La ministre annonce qu’elle a résilié les contrats de commande des vaccins : quel sera le coût des indemnités que les industriels ne vont pas manquer de réclamer ? Les 2 milliards d’euros dépensés représentent trois fois le déficit cumulé des hôpitaux français. Cette affaire illustre bien la manière dont l’état gère la question sanitaire : dirigisme, expertise et centralisme. Pour le plus grand profit des intérêts privés, et au détriment de la population.