Tchétchénie

mis en ligne le 24 décembre 2005

reportage réalisé en juin 2004 à  la frontière avec la Tchétchénie, en république d'Ingouchie

Tabarika

Depuis 1999, son village d'adoption est une usine désaffectée. Le Bureau de compensation accorde, sur demande, à chaque propriétaire de maison détruite une aide de 350 000 roubles, soit 10 000 euros. Tabarika l'a évidemment sollicitée. La procédure est très longue. Et comme tous ses compatriotes concernés, elle " fait cadeau " de 50% de cette somme aux responsables du Bureau pour être à peu près certaine de l'obtenir.« Mon fils de 6 ans est devenu muet depuis les bombardements. Les médecins ne l'expliquent pas. Pour moi, la nuit est plus terrible que le jour. L'administration ingouche fait varier la pression du gaz qu'il faut constamment surveiller. Et puis les enfants pleurent très souvent, effrayés par des cauchemars. Alors je les console. Et, avant qu'on nous chasse de la tente, quand il pleuvait, je courrais toute la nuit avec des bassines. Cette guerre m'a pris trois enfants. Du coup, les deux orphelins que l'on a recueillis, je m'en occupe encore plus. J'ai peur des « nettoyages ». Ils enlèvent des innocents. Je crains pour mon mari. Et, pourtant, je n'ai pas de haine dans le cœur. »

MadinaCamp de Satsita, juin 2004

Elle est enceinte, probablement pas loin du terme. Devant l'énorme véhicule maculé de boue, celle qui arbore une robe rouge fleurie ne parvient pas à contenir ses larmes. Ses deux fils, sa fille et son mari s'acharnent à faire disparaître les ultimes traces de leur séjour dans la prairie. C'est peine perdue tant les vieilles planches agglomérées à la terre depuis cinq hivers se confondent avec le substrat.

Là, quelques briques ; ici, un sommier, une baignoire pour bébé, les seuls biens qui n'ont pas encore été engloutis par l'imposant Kamaz, camion prêté aux familles par le service d'immigration pour vider les lieux. Ce même bureau officiel qui, le matin même, a fait mentir l'ordinateur en déclarant l'octroi d'un avoir de cinq mois de compensation humanitaire au lieu de dix-huit ! Alors que les autorités russes imposent la levée du dernier camp de réfugiés tchétchènes en Ingouchie, cette famille n'a d'autre choix que de retourner dans la Grozny dévastée pour intégrer un TAC, un « foyer » qui leur fera regretter jusqu'à ces sinistres campements. Désormais, tous leurs espoirs se dissipent dans les airs aussi sûrement que cette fumée nauséabonde qui s'élève des vestiges des tentes calcinées.(À propos de son père, de son mari et de son beau-frère.)

MalikaPetimatAzmanLisaL'histoire survenue à l'époux de Malika, en octobre 2002, n'est que trop classique.

À cinq heures du matin, six BTR (blindés transporteurs de troupes) font une halte devant leur maison. Le mari est emmené par les militaires cagoulés. On retrouvera son corps - salement abîmé - vers midi. Devant les plaintes de Malika, l'armée d'occupation invoque la légitime défense. Les plus cyniques diront qu'elle a de la chance qu'on ne lui réclame pas de rançon pour récupérer le corps, pratique courante chez les militaires russes.

Il était chauffeur de transports en commun, sans accointance avec les boïvikis, les combattants tchétchènes.

Jaminat, leur dernière fille, n'a même pas connu son père.