Faut-il brûler Bové pour soutenir Riesel ?

mis en ligne le 14 septembre 2003

En réponse à votre appel à soutenir René Riesel [dans Le Monde libertaire du 19 décembre- art1204], il faut être présent. En réprimant Riesel le pouvoir ne se trompe pas : René a été très actif au sein de la Confédération paysanne pour expliquer, au-delà du danger, ce que représenterait la diffusion des OGM en tant que contrôle économique, agronomique, culturel et politique sur la paysannerie par les multinationales. Cette approche a éclairé la Conf' pour s'engager dans cette lutte qui est devenue aussi celle pour l'autonomie dans les moyens de production. Elle rejoignait celle déjà commencée pour le droit de re-semer ses propres graines mis à mal par les semenciers. Peu avant l'action de destruction de semences OGM à Nérac le combat semblait perdu : les « bios » se contentant de demander des distances de sécurité, certains écolos de réclamer une filière sans OGM. Dès cette action, une partie de la Conf' a été très active sur ce sujet (dont Bové, activiste minoritaire dans le syndicat).

Alors pourquoi faudrait-il abattre la Conf' aujourd'hui pour défendre Riesel ?

Que signifie cette diabolisation d'un syndicat qui avait, avant la médiatisation de Bové, une certaine aura. La Conf' aurait elle changé depuis le départ de Riesel ?

Très peu, dans ses institutions qui sont restés très verticales, seul changement : l'augmentation du nombre de secrétaires nationaux (de sept à neuf, ce qui est plutôt un bien) qui font marcher la boutique. Le comité national qui représente les départements n'a qu'un pouvoir de contrôle et les diverses commissions encore moins, elles ne font que des propositions.

Le pouvoir est au secrétariat. Quand Riesel a démissionné, il était l'un d'eux ; il a été également directeur de publication du journal Campagnes solidaires de juin 1995 à mai 1999. Belle carrière après seulement deux ou trois années de militantisme.

En 1998, René a voté l'adhésion de la Conf' à Attac. Je m'y étais moi-même opposé (texte dans Campagnes solidaires d'octobre 1998). Nous comprenions à l'époque ses raisons, j'ai moins compris son refus d'engager la Confédération paysanne dans un soutien à l'insurrection du Chiapas, aux rencontres zapatistes de Berlin (Marcos prélude de Bové ?) alors qu'il avait en charge les relations internationales. Nous avons été plusieurs à nous étonner de la rigidité dans l'organisation de la caravane des paysans indiens du KRSS et du manque d'infos sur ce syndicat qui a dû faire grincer bien des dents chez les féministes, chez les libertaires mais aussi à la Conf'. René en était le principal responsable. Les positions anti-loup relèvent plus d'un réflexe corporatiste que de la dialectique situationniste, mais il est vrai que René est éleveur de moutons ! Un débat sur le sujet de la cohabitation pastorale avec la faune sauvage a été quasi impossible, mais d'autres en portent aussi la responsabilité.

Nous pourrions passer à une analyse critique de José Bové, le temps me manquerait, mais Bové n'avait pas un tel pouvoir dans le syndicat à cette époque. Mon sentiment est que ces deux hommes représentaient bien un courant radical dans le syndicat qu'ils ont réussi à développer, mais pas d'illusions ! La Conf' n'a jamais été un syndicat révolutionnaire ni libertaire et encore moins situationniste.

La Conf' évolue sur un milieu majoritairement conservateur : petits propriétaires, fermiers aussi, de tradition catholique (influence encore très présente de la JAC, du CMR, du MRJC) ; elle est aussi issue d'une fusion entre les Paysans travailleurs (ambiance PSU) et la FNSP (ambiance PS) mais pas avec les « rouges » du Modef. Nous avons donc évolué sur une base où les seuls éléments porteurs d'une profonde aspiration au changement proviennent d'une gauche chrétienne inspirée par la théologie de la libération en Amérique latine et aussi du néoruralisme depuis 1968 porteur d'idées plus écolo (les « bios ») et plus à l'extrême gauche. Tous ces petits et moyens paysans subissent durement la PAC (politique agricole commune) depuis les années 60, mais c'est en France que se formulera clairement la critique du productivisme et, depuis une dizaine d'années, celle de la mondialisation.

Faut-il pour autant considérer la Confédération paysanne comme l'ennemi à abattre, « ceux qui n'ont rien à dire », comme le suggère cet appel, je ne le pense vraiment pas, et je trouve dommageable la manière dont est lancé cet appel. Je ne vois pas dans la sociologie actuelle de la paysannerie en France le moindre espoir pour qu'un autre syndicalisme plus révolutionnaire puisse naître (sauf à droite...). Nous ne sommes pas des « sans-terre » ni des ouvriers agricoles exploités, mais des petits paysans : c'est là une ambiguïté !

Le moment est pourtant propice pour que des évolutions puissent se faire en lien avec d'autres exclus pour des prises de conscience, nous sommes dans la même galère, nous exprimons notre solidarité avec les Palestiniens (cela ne nous fait pas que des amis), les sans-papiers, les sans-terre du Brésil, les petits pêcheurs à travers le monde. Le débat reste ouvert sur la résistance à la mondialisation, nous adhérons à Via Campesina, organisation mondiale des petits paysans dont les positions sur l'OMC sont plus sur un refus qu'un aménagement.

La starisation de Bové est un sacré problème, nous avons voulu en jouer pour sortir de la marginalité, le bilan est-il négatif ? Nous pourrions en débattre avec vous mais on ne peut réduire la Confédération à cet élément. Le problème de la grâce présidentielle est un autre débat plus mineur, car il est aussi l'affaire d'un homme qui n'a pas forcément envie de passer un an en taule. Qui l'en blâmerait (vous iriez, vous ?). Qui ne fait pas de concessions avec le système ? Vous ne voulez pas de Bové en héros mais qu'il ne s'avise pas de ne pas l'être ! De grâce (populaire !), ne nous divisons pas. Les urgences sont nombreuses, nous avons besoin de solidarité pour nous aider. Quel contact avec le monde agricole pouvez-vous espérer ?

Pascal Pavie, paysan dans l'Aude